PROPOS DU P. D’ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN

GALERAN
Informations générales
  • PROPOS DU P. D'ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN
  • Les trois cardinaux anglais
  • H.D. Galeran, Croquis du P. d'Alzon, B.P. (1924)
  • Extrait de "Les trois cardinaux anglais" p.7-9, dans *Croquis du P. d'Alzon*, p.6-11.
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • Abbé Galeran
  • GALERAN
La lettre

Je fais un faisceau de mes souvenirs et de mes notes pour unir les trois cardinaux anglais, Wiseman, Manning et Newman (1) […]. Le P. d’Alzon avait beaucoup connu le docteur Wiseman à Rome […]. Il écrivit dans la Revue de l’enseignement chrétien, de Nîmes, un admirable article sur les quatre derniers Papes, brochure que le cardinal Wiseman venait de publier (2). Il disait de cet homme éminent:

« C’est un savant hors ligne, un linguiste accompli dans les langues anciennes comme dans les langues modernes, mais c’est un homme qui préfère le travail tranquille au tumulte de la vie publique. Il est prêtre jusqu’au bout des doigts; il n’est pas homme d’Etat; il connaît les livres, il connaît beaucoup moins les hommes. Il fait, par son zèle et sa science, beaucoup de bien à Londres; vous verrez, cependant, que Dieu enverra un successeur tout différent quand il aura décidé, dans sa miséricorde, de donner, en Angleterre, une plus grande impulsion à l’influence catholique. Wiseman est à peine Anglais, il faudra un Anglais pur sang, sorti des Universités d’Oxford ou de Cambridge. »

Il écrivait à son ancien élève (3), recteur d’une paroisse à Londres:

« Le cardinal Manning est plus théologien que le cardinal Wiseman, dans le vrai sens du terme; son érudition n’est pas aussi vaste. Il est homme d’Etat; du premier coup on voit en lui le diplomate. Du reste je tiens d’un ami, son condisciple à Oxford, qu’il se destinait d’abord à suivre Gladstone dans la carrière diplomatique. Il a réussi à donner à l’Eglise catholique en Angleterre, une position éminente. Depuis qu’il tient le gouvernail, le vieux cri: No Popery (A bas le papisme), quand il est encore poussé, ce qui est rare, ne provoque plus que des rires à l’adresse de celui qui les pousse. Vous voyez tout cela, vous qui avez l’honneur de servir sous un tel chef. J’aurais grande envie d’aller vous voir pour étudier de près cette grande nation. »

Voici le résumé d’une conversation sur le cardinal Newman avant son élévation à la pourpre sacrée:

« Wiseman et Manning seront toujours considérés comme deux hommes d’un immense talent; Newman est un homme de génie. Comme écrivain, vous autres, Anglais, vous pouvez l’apprécier évidemment mieux que nous sous le rapport de son style, que l’on dit merveilleux de pureté, de richesse et de majesté.

« Comme penseur, il exerce en Angleterre et dans le monde, une étonnante influence.

« Gladstone a dit: « La plus grande victoire de l’Eglise de Rome, depuis la Réforme, a été la conversion de Newman. » Et lord Beaconsfield: « Le plus terrible coup que l’Eglise anglicane ait jamais reçu a été la perte du docteur Jean-Henri Newman. »(4)

Newman ne ressemble ni au cardinal Wiseman, ni au cardinal Manning. Sa pensée est élevée à des hauteurs sublimes, je dirais presque inaccessibles. Il se sert des sciences comme d’échelons pour monter dans ces régions où son génie est at home, comme disent les Anglais, c’est-à-dire dans son élément. En montant il ouvre devant son regard de vastes horizons, mais il sait aussi descendre, doucement et sans efforts, à l’examen exact des détails. On trouve en lui une richesse et une variété de dons, dont un seul suffirait pour donner la célébrité. On comprend aisément que ce grand docteur exerce autour de lui une vraie puissance magnétique. Il serait déplacé sur un siège épiscopal; l’administration le tuerait, à moins qu’il ne fût évêque in partibus. Manning est fait pour mener les hommes par la force de sa volonté et son incomparable habileté d’administrateur; Newman les éclaire et les ravit par la splendeur de son génie. »

Notes et post-scriptum
1. Nicholas-Patrick Wiseman (1802-1865), archevêque de Westminster et cardinal en 1850, lors du rétablissement de la hiérarchie catholique en Angleterre. - Henry-Edward Manning (1808-1892), successeur de Wiseman comme archevêque de Westminster en 1865. Cardinal en 1876. - John-Henry Newman (1801-1890), cardinal en 1879. - Le P. d'Alzon avait fréquenté, lors de ses études à Rome (1834-1835), le futur cardinal Wiseman, alors recteur du Séminaire anglais - Il avait eu de nombreux contacts avec Mgr Manning, surtout pendant le concile - Enfin, dès son origine, il avait porté un grand intérêt au mouvement d'Oxford, ainsi qu'à son initiateur, J.-H. Newman. - Il écrivit d'ailleurs une série d'articles intitulée *Du mouvement religieux en Angleterre* dans le *Bulletin de l'Association de Saint-François de Sales* en 1866 et 1867 (dans notre fichier informatique: C00095 à C00099). Sur ces articles v. D. OLIVIER, *Le P.d'Alzon et la crise du protestantisme au XIXe siècle*, p.172-175 dans *E. d'Alzon dans la société et l'Eglise du XIXe siècle*, p.165-179.
2. C'est dans la *Revue catholique du Languedoc* (I, mai 1859, p.25-29) que le P. d'Alzon publia *A propos des souvenirs du Cardinal Wiseman sur les derniers Papes* (dans ce fichier informatique: C00092). - Les propos du P. d'Alzon cités ici par Galeran ne proviennent cependant pas de cet article.
3. Henri-Dieudonné Galeran lui-même.
4. Une lettre du Dr J.-W. Allies, du 10 octobre 1845, annonce au P. d'Alzon, avec lequel il s'est lié d'amitié à Paris en juillet précédent, que la veille "M. Newman a été reçu dans la communion de l'Eglise romaine, par le P. Dominique, des Passionnistes. Ainsi, continue M. Alliès, le plus éloquent de nos écrivains, le plus célèbre de nos raisonneurs et le plus profond de nos penseurs s'est soumis à l'autorité du Pape, tout en croyant que l'Eglise anglicane est une Eglise substantiellement, mais que par le fait de sa séparation du Saint-Siège, elle est dans une fausse position. Je puis dire que, depuis notre séparation de près de trois cents ans, aucun fait d'une telle importance ne s'est arrivé chez nous, car M. Newman a excité non seulement la plus grande admiration de son génie par ses écrits, mais aussi un respect presque sans égal par la sainteté de sa vie [...]."(VAILHE, *Lettres*, II, Appendice XXVIII, p.477-478, d'après l'original français).