PROPOS DU P. D’ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN

jun 1861 Montpellier ELECTEURS
Informations générales
  • PROPOS DU P. D'ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN
  • Discours électoral
  • H.D. Galeran, Croquis du P. d'Alzon, B.P. (1924)
  • Extrait de "Candidature au Conseil général", dans *Croquis du P. d'Alzon*, p.28-33.
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • Electeurs de Montpellier
  • ELECTEURS
  • [juin 1861]
  • jun 1861
  • Montpellier
  • Salon Ginestous
La lettre

[A la demande des électeurs de Montpellier, le P. d’Alzon accepte de poser sa candidature pour le Conseil général] (1).

[…le Père] prononça plusieurs discours remarquables. J’eus l’heureuse chance d’entendre le premier, dont je reproduis ici les principaux passages sur des notes prises immédiatement après la séance. […]

C’était le soir, après les heures de travail, dans le vaste salon de M. de Ginestous. L’assemblée était large, composée des membres de l’aristocratie, de bourgeois et d’un nombre considérable d’ouvriers. Le Père, debout au coin d’une table, dominant de sa belle taille cette réunion sympathique, parla ainsi:

« Messieurs,

« Je dois, avant tout, vous remercier de l’honneur que vous me faites en m’acceptant pour votre candidat. Disons franchement, dès l’abord, que les chances de succès sont douteuses. Vous et moi, nous procédons ouvertement; nous n’avons ni l’art de l’intrigue ni le maniement de certaines influences, et j’ajoute fièrement: ni la volonté d’user de certains moyens qui donnent la victoire au prix de l’honneur.

« Tout ce que nos adversaires ont dit ou écrit revient à ces trois questions:

« 1° Pourquoi M. l’abbé d’Alzon a-t-il posé sa candidature pour le Conseil général?

« 2° Quel service peut rendre un prêtre dans le Conseil général?

« 3° M. l’abbé d’Alzon est légitimiste; est-ce qu’il prétend faire l’opposition au gouvernement impérial?

« Voici ma réponse:

« Je me suis présenté parce que mes concitoyens usant de leur liberté et des droits que leur donne la loi du pays, m’ont demandé d’accepter la mission de défendre et de protéger leurs privilèges au Conseil général.

« J’ai accepté la candidature parce que j’ai un grand intérêt, un intérêt aussi considérable, pour le moins, que celui des plus larges propriétaires. Parlons clairement; on sait fort bien – mes adversaires ne l’ignorent pas plus que mes amis, – on sait fort bien, dis-je, que je suis un des plus riches prêtres du Midi, et que la fortune de mon père, dont je suis le fils unique, ne consiste pas seulement en capitaux produisant un revenu, mais encore en immeubles, en vignes, en champs et en bois dont l’ensemble forme, dans l’Hérault seul, sans parler des autres départements, une propriété considérable.

« J’ai donc un véritable intérêt dans le Conseil général, qui a surtout à s’occuper de l’agriculture et des propriétés foncières.

Une autre raison pour laquelle je me présente appartient à un autre ordre de choses. Sommes-nous, oui ou non, un peuple libre?

Avons-nous l’égalité devant la loi? S’il en est ainsi, je rappelle à mes contradicteurs qu’une branche des La Rochefoucauld porte, sur ses armes, une sirène qui se baigne en disant (c’est la devise que porte le blason): C’est mon plaisir! Laissons la sirène de côté, dans son bain, ne prenons que la devise. Je me présente au Conseil général, parce que c’est mon plaisir, dirai-je à l’opposition! Je me présente parce que je ne recule pas devant le devoir quand mes concitoyens me font l’honneur de m’appeler à les représenter, et voilà ce que je vous dis à vous, Messieurs les électeurs.

« Passons à la seconde question:

« L’action du prêtre, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, n’est pas renfermée entre les quatre murs d’une sacristie. Le Roi des rois, le Maître des empires n’ouvrit pas aux premiers prêtres la porte d’une sacristie. Il leur ouvrit le monde en disant: « Allez, enseignez. »

« Il n’y avait pas de Conseils généraux du temps du Sauveur. S’il y en avait eu, pensez-vous qu’il en eût interdit l’entrée à ses disciples? Un prêtre africain, Tertullien, écrivait un jour à César: « Nous sommes partout, nous ne vous laissons que vos temples! ».

« Je ne vois pas que les intérêts de l’éternité et ceux du temps soient tellement séparés que celui qui s’occupe des uns n’ait rien à faire avec les autres. Le temps mène à l’éternité; par les choses du temps nous préparons celles de la vie future.

« L’Eglise catholique n’a jamais négligé les choses dont les Conseils généraux ont à s’occuper. De tout temps, les moines ont planté des vignes, des bois, des arbres fruitiers. N’est-ce pas à Dom Pérignon, procureur de l’abbaye d’Hautvillers, à un moine, qu’est due la manière de préparer le vin de Champagne et de le rendre mousseux? Que de ponts, de routes, de canaux, d’étangs desséchés, de marais assainis sont l’oeuvre des moines!

« Un prêtre n’est pas déplacé dans un Conseil général.

« Mon antagoniste, il est vrai, a introduit le soufre sublimé pour la guérison de la vigne. Nous lui en sommes tous reconnaissants; mais enfin, n’y a-t-il que la vigne à guérir? La vigne est soufrée mais les classes ouvrières et pauvres sont en souffrance… Pardon d’un jeu de mots involontaire, mais que je maintiens, puisqu’il exprime ma pensée.

« N’avons-nous pas à penser à l’éducation des enfants? à surveiller la morale publique? à protéger le développement de l’industrie? à maintenir l’ordre, la paix, et le bien-être parmi les travailleurs? Ne devons-nous pas être les amis du peuple? Et qui donc connaît et aime le peuple mieux que le prêtre, qui est sans cesse en contact avec lui?

« M. l’abbé d’Alzon, dit-on est un légitimiste; il cherche à faire opposition au gouvernement.

« M. l’abbé d’Alzon, dirai-je, sait assez son catéchisme pour savoir qu’il faut respecter les puissances établies. Il n’ignore pas qu’un homme de grand sens pratique, qui n’était autre que saint Paul, a dit: « Obéissez à vos maîtres, même à ceux dont l’humeur est peu agréable. »

« Ce n’est pas moi qui fais opposition au gouvernement, c’est le gouvernement qui combat ma candidature par ses agents, qu’il envoie partout pour influencer les électeurs. Il fait même agir le clergé qu’il intimide ou berce de promesses qui ne se réaliseront probablement jamais.

« Messieurs les électeurs,

« Si, malgré tout, je suis élu, soyez sûrs que je serai fidèle à mon mandat. Je saurai rester indépendant et digne, parce que je serai le représentant d’hommes indépendants et dignes.

« Comme chrétien et comme prêtre, je suis de cette race qui ne s’opposait pas à César dans les choses qui appartenaient à César. Mais aussi, dans les choses qui sont à Dieu, dont les plus riches joyaux sont les âmes qu’il a rachetées, je ne fléchirai le genou ni devant César, ni devant personne.

« Je combattrai pour la liberté, car je sens avec saint Colomban, le célèbre moine irlandais, « que celui qui prend ma liberté prend ma dignité »! C’est cette dignité que je veux défendre dans les classes ouvrières et pauvres. Et je sens là, Messieurs, dans mon coeur, que je suis prêt à tous les sacrifices, déterminé à combattre tous les combats pour procurer à mes concitoyens, dans tous les états de vie et dans toutes les positions sociales, la liberté chrétienne qui, seule, peut donner, avec la paix et la joie, l’honneur et la dignité! »

[…] Le P. d’Alzon ne fut pas élu. […].

Notes et post-scriptum
1. Le chanoine Galeran date de 1859 la candidature du P. d'Alzon au Conseil général de l'Hérault. Sa mémoire l'a trahi car c'est en 1861 que le Père sollicita les suffrages des électeurs de Montpellier. Mais ceci nous donne à penser que "les notes prises immédiatement après la séance" qu'il nous dit reproduire, n'étaient pas datées elles non plus... - Voir le tract électoral du P. d'Alzon du 9 juin 1861: *Lettre* 1618 (t.III, p.467) et ses notes.