PROPOS DU P. D’ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN

may 1847 Nîmes GALERAN
Informations générales
  • PROPOS DU P. D'ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN
  • La parabole des ouvriers de la onzième heure
  • H.D. Galeran, Croquis du P. d'Alzon, B.P. (1924)
  • Extrait de "Question sociale", dans *Croquis du P. d'Alzon*, p.55-59.
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • Abbé Galeran
  • GALERAN
  • mai 1847
  • may 1847
  • Nîmes
La lettre

Le P. d’Alzon prenait l’Ecriture Sainte comme la base de ses études sociales. […] Voici sa manière d’interpréter la parabole des vignerons au XXe chapitre de saint Matthieu:

« On trouve, disait-il, dans cette parabole les éléments suivants: les maîtres et les ouvriers, le travail, les heures de travail, le salaire et le contrat. Les droits de l’ouvrier sont définis, mais aussi ceux du maître qui offre le salaire convenable, en se réservant d’aller plus loin que la stricte justice, selon les circonstances.

« Au point du jour, le maître se rend sur la place publique, où les hommes attendaient pour être loués.

« Naturellement il choisit les plus robustes et s’engage à leur donner un denier par jour; c’était le prix raisonnable. Les vignerons acceptent les conditions; ils partent pour la vigne.

« Probablement il fallait encore des travailleurs, et le maître revient, pour en trouver, à 9 heures. Il fait son choix, mais comme l’heure est avancée, il ne fait pas de contrat, ne fixe aucun salaire et dit seulement: « Allez, je vous donnerai ce qui sera juste. »

« Il revient encore à midi, puis à trois heures de l’après-midi; il choisit quelques hommes, les envoie à sa vigne, sans rien stipuler.

« Vers les cinq heures, il voit encore des ouvriers qui attendent. Mû de compassion à leur vue, il leur dit: « Qu’attendez-vous là sans rien faire? – Personne ne nous a loués; nous ne trouvons pas d’occupation. »

« Il est évident que les meilleurs bras avaient été pris les premiers. Ceux de la onzième heure – une heure indécise qui n’était que la partie d’une division légale du jour – étaient des hommes faibles, vieux et mal outillés. Cependant ils avaient à se nourrir, eux et leurs enfants, comme les autres. Le bon maître les envoie en promettant ce qui serait juste.

« Les heures de travail commençaient donc au point du jour et se prolongeaient jusqu’à 6 heures du soir, ou la douzième heure, en tenant compte du temps des repas, de l’aller au champ et du retour à la fin de la journée.

« Le soir arrive; l’intendant va payer les travailleurs, en donnant à tous le même salaire, selon les instructions du maître. De plus, il appelle d’abord les derniers venus et les fait passer avant les premiers, selon les ordres qu’il a reçus.

« Il y a dans cette circonstance une attention délicate de traiter, avec un respect particulier, les pauvres, les faibles, les délaissés qui, malgré eux, n’ont pu faire que peu de travail.

« En cela se trouve cette justice chrétienne qui abonde plus que celle des pharisiens. La justice stricte donne à chacun ce qui lui est absolument dû. Mais quand le justice est élevée à la perfection, comme celle de Dieu, par un mélange de miséricorde et de charité, la maître devient l’ami de ceux qui sont sans emploi. Ainsi les premiers sont payés pour le travail qu’ils ont fait et pour lequel ils avaient réglé le salaire; les autres, les derniers surtout, s’en étant rapportés à la générosité d’un bon coeur, reçoivent le prix d’un travail qu’ils n’ont pu faire parce qu’ils n’ont pas été employés avant une heure avancée de la journée, bien qu’ils se fussent présentés sur la place pour trouver du travail.

« Remarquez ceci: ceux de la troisième, sixième et neuvième heure ne sont pas jaloux et ne se plaignent pas de la manière dont les derniers sont traités. Ceux qui sont partis au point du jour murmurent injustement; non parce qu’ils ne sont pas bien payés, mais parce que les autres leur paraissent trop payés. Comme s’ils avaient sous leur contrôle les fonds du capitaliste!

« Ils ne voient pas que leurs pauvres compagnons n’ont ni leurs forces ni leur habileté; mais que, cependant, ils ont à vivre et à faire vivre leur famille, et qu’il est bon que la générosité chrétienne rétablisse l’équilibre.

« Ils ne voient pas parce que leur oeil est mauvais. Voilà des socialistes qui réclament l’égalité, et qui murmurent contre celui qui, vraiment, rétablit l’égalité! Ce n’est pas ainsi qu’ils voient la chose. Le maître dit, fort à propos, à celui qui porte la parole, à l’orateur de la bande: « Mon ami, je ne suis pas injuste à ton égard. Prends ce qui te revient. Ton oeil est donc mauvais parce que je suis bon? N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de ce qui m’appartient? Si j’avais doublé ton salaire et si j’avais donné seulement la paye d’une heure à ceux qui n’ont travaillé qu’une heure, est-ce que tu aurais murmuré et travaillé pour eux?

« Maîtres et ouvriers feraient bien de savoir l’Evangile. Beaucoup de questions sociales, dont la solution défie les plus grands hommes d’Etat, deviendraient claires et aisées à résoudre si l’Evangile était bien connu et bien médité. Les économistes font de longues théories; ils écrivent des livres, dressent des tableaux de statistiques; pourtant rien n’avance; les problèmes demeurent obscurs. On va chercher la lumière partout, excepté là où Dieu l’a mise. Saint Matthieu apprendrait beaucoup à ceux qui nous dirigent s’ils consentaient seulement à lire saint Matthieu. »

La question sociale des ouvriers n’était pas la grande question du jour à l’époque où le P. d’Alzon expliquait cet Evangile de cette manière; n’est-il pas intéressant de constater avec quelle puissance de coup d’oeil il pénétrait les tendances populaires ?

Ce commentaire pratique est noté, dans mon journal, sous la date de mai 1847; c’était une conversation.

Notes et post-scriptum