PROPOS DU P. D’ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN

Informations générales
  • PROPOS DU P. D'ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN
  • Controverse protestante
  • H.D. Galeran, Croquis du P. d'Alzon, B.P. (1924)
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
La lettre

[…] Un certain prêcheur méthodiste vint le trouver pour lui porter, disait-il, des arguments à bout portant. […] Voici quelques fragments de cette controverse:

Le méthodiste. – Après tout, il y a une chose certaine, hors de doute, c’est que la Bible est la parole de Dieu.

Le Père – J’admets comme vous que la Bible est la parole de Dieu, mais ce n’est pas toute la parole de Dieu.

Le M. – Comment ? Y a-t-il une autre parole de Dieu en dehors de la Bible ?

Le Père – Oui; la Bible est la parole écrite; il y a en outre, la parole parlée qui est la tradition.

Le M. – Je n’ai pas besoin de tradition! Avec ma Bible, que je porte toujours sur moi, j’en ai assez.

Le Père – Mais non, vous n’en avez pas assez, vous vous faites illusion. Qui vous a dit que la Bible que vous avez est la vraie Bible ?

Le M. – Je l’ai ainsi reçue de mes anciens.

Le Père – Vous l’avez reçue, dites-vous, de vos anciens, qui eux-mêmes l’ont reçue d’autres qui remontent à l’Eglise catholique, soyez-en sûr. Mais enfin, quelqu’un vous a dit, quelqu’un en qui vous avez confiance: « Voilà la Bible! » C’est bien là, avouez-le un bout de tradition.

Le M. – C’est vrai, mais je n’ai besoin d’aucune tradition pour lire dans le livre.

Le Père – Encore vous êtes dans l’illusion. Dites-moi, n’avez-vous jamais rencontré certains passages obscurs que vous ne compreniez pas bien? Et qu’avez-vous fait alors pour obtenir la lumière?

Le M. – J’ai lu les commentateurs les plus autorisés.

Le Père – Ah! Voilà encore la tradition. Plus d’une fois même vous avez consulté vos confrères ou vos voisins, n’est-ce pas vrai? Alors, ne vous fiant pas à la libre interprétation individuelle, vous avez eu recours à la science des autres. Il me semble qu’il y a bien là, pour le moins, une teinte de tradition. Laissez-moi continuer; vous dites que la Bible est la parole de Dieu, c’est fort vrai. Mais avez-vous remarqué que, sans une tradition autorisée, en d’autres termes, sans une autorité enseignante, la parole de Dieu peut très bien devenir la parole de l’homme, et même la parole du diable? Tout repose sur l’interprétation; quand elle est fidèle, c’est Dieu qui parle; quand elle est fausse, c’est l’homme ou le diable qui parle. Vous savez: « La lettre tue, mais l’esprit vivifie. » (II Cor.III,6)

Le M. – Je ne vais pas me casser la tête avec toutes ces arguties. Je lis ma Bible, je la prêche aux autres, et je suis sûr d’être sauvé par ma foi en Christ. Vous autres, catholiques, vous n’êtes pas les vrais adorateurs, vous avez des cérémonies, des fleurs, des chandelles, des confessionnaux,vous allez contre la parole de Dieu. Est-ce que le Christ, en Jean, chapitre IV, verset 23, ne dit pas: « L’heure vient, elle est venue, où les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité »?

Le Père – Nous catholiques, avons l’habitude de donner à chacun les titres qui lui appartiennent. Je vous appelle Monsieur; je ne vois pas pourquoi je dirais, comme vous, Jean tout court. Je dis donc Saint Jean a vraiment dit les paroles que vous citez, mais elles vont contre vous; admettons que vous adorez le Père en esprit, mais cela ne suffit pas. Que faites-vous du en vérité? Cela ne veut-il pas dire qu’il faut adorer Dieu comme il exige vraiment d’être adoré? L’ancienne loi avait ses cérémonies; la nouvelle loi a les siennes. Pourquoi donc baptisez-vous et célébrez-vous la Cène? Soyez logique; faites tout en esprit et contentez-vous de l’intention. Mais si vous admettez certaines cérémonies, vous admettez, de fait, le principe que, adorer en esprit, ne suffit pas; il faut encore adorer en vérité, en se conformant à certaines prescriptions du culte, d’une certaine manière qui nous a été transmise.

A ce point de la conférence, le méthodiste en avait assez. Il changea de ton, de forme et d’arguments.

Le M. – Après tout, dit-il, je suis heureux comme je suis. Je le sais, je suis sauvé.

Le Père – Quoi? vous êtes sûr, ce qui s’appelle sûr, d’être sauvé? Et qui vous l’a dit?

Le M. – Oui, je suis sauvé. L’Esprit me le dit avec des « gémissements inénarrables ».

Le Père – Oh! alors, je vous prie de vous tenir debout pendant que je ferai trois fois le tour de votre personne fortunée. Vous me demanderez pourquoi? Mais c’est afin de contempler sous tous les aspects le rare phénomène d’un homme en chair et en os encore vivant sur terre, qui porte en lui l’assurance d’être sauvé. Jamais exposition universelle n’a exhibé un tel prodige. Si la chose est vraie, j’envierais votre sort. Ecoutez: la Bible est la parole de Dieu, n’est-ce pas? Mais avez-vous lu saint Paul?

Le M. – Paul? Mais c’est lui qui est notre grand homme, notre apôtre par excellence. Certes, je l’ai lu et relu.

Le Père – Et votre grand homme, votre apôtre par excellence n’a jamais osé dire qu’il était sauvé; et vous, qui malgré tant de qualités êtes, comme moi, peu de chose à côté de saint Paul, vous, dis-je, vous proclamez bravement que vous êtes sauvé? Non pas que vous espérez être sauvé, mais que, actuellement, vous êtes sauvé! Ecoutez donc saint Paul aux Philippiens (II, 12): « Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement. » L’Ecclésiaste avait dit (IX,1): « Et cependant, l’homme ignore s’il est digne d’amour ou de haine. » Mais vous, plus heureux que les évrivains inspirés, plus que les apôtres, plus que tous les élus, vous savez d’ores et déjà que vous êtes sauvé! Je vous en fait mon compliment. Allons! Allons! cher Monsieur, devenons sérieux, car le temps presse; et, en vous remerciant de votre visite, laissez-moi vous dire ce mot, tiré encore de la Bible: « La nuit passe, le jour arrive vite, secouons loin de nous les oeuvres ténébreuses et revêtons-nous des armes de la lumière. » C’est encore du saint Paul (Rom.XIII, 12), cher Monsieur.

Les deux antagonistes se quittèrent bons amis (1); c’est tout ce que je sais.

Cette conférence me fut communiquée quand j’étais vicaire à Montpellier par un ecclésiastique qui voulut bien me permettre de la copier sur son manuscrit.

Notes et post-scriptum
Extrait de "Controverse familière", dans *Croquis du P. d'Alzon*, p.200-204.1. Les controverses du P. d'Alzon avec les protestants ne furent pas toujours aussi courtoises...
Sur les rapports du P. d'Alzon avec les protestants et le protestantisme: Daniel Olivier, *Le P. d'Alzon et la crise du protestantisme au XIXe siècle*, dans *Emmanuel d'Alzon dans la société et l'Eglise du XIXe siècle*, Colloque d'histoire, 1980, p.165-179.