PROPOS DU P. D’ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN

apr 1866 GALERAN
Informations générales
  • PROPOS DU P. D'ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN
  • Conseils pour l'apostolat en Angleterre
  • H.D. Galeran, Croquis du P. d'Alzon, B.P. (1924)
  • Extrait de "Adieux à un missionnaire" p.209-212, dans *Croquis du P. d'Alzon*, p.209-213.
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • Abbé Galeran
  • GALERAN
  • vers avril-mai 1866
  • apr 1866
La lettre

Un fils du P. d’Alzon partait, comme missionnaire, pour l’Angleterre (1). Après l’avoir béni, le Père lui parla en ces termes:

« Le Pape vous envoie en Angleterre, mon cher enfant. Vous avez pour mission de travailler à étendre le règne de Jésus-Christ en sauvant et en sanctifiant les âmes. Soyez fidèle à ce mandat; vous ferez du bien, et, en même temps, un grand bien vous sera fait. Votre fougueux tempérament se calmera sous les brumes du Nord. Votre imagination et votre esprit aventureux se modéreront, dans une juste mesure, au contact d’une race grave, pratique et patiente. Votre ardeur descendra de quelques degrés sous l’influence de la froideur britannique; elle ne sera pas détruite, il vous en restera toujours assez.

« On vous regarde ici comme trop plein de feu. Je ne serais pas étonné, pour ma part, si après quelques années de ministère en Angleterre, vous ne deveniez pas froid comme un Breton.

« L’opinion assez générale autour de moi, est que, de tous mes fils, vous êtes celui qui paraît le moins fait pour vivre avec les Anglais. Je pense tout autrement; j’ai mes idées arrêtées là-dessus. Les apôtres sont des envoyés qui n’appartiennent pas, ordinairement aux races qu’ils vont évangéliser.On peut dire aussi qu’ils en diffèrent par le tempérament autant que par le sang.

« J’ai beaucoup étudié l’Angleterre. Ce grand peuple n’est pas un peuple apostat; il a été trompé et volé de sa foi catholique. Il n’a jamais rejeté cette foi; il en a été privé par la ruse de ses chefs. c’est l’opinion des docteurs Newman et Manning (2).

« Pie IX est le premier Pape qui ait vraiment popularisé la papauté. Jadis on professait, comme à présent, que Notre Saint-Père le Pape était le chef visible de l’Eglise; mais pratiquement le peuple ne connaissait que son curé, son évêque ensuite.

« Le peuple anglais entendait parler des querelles de Henri VIII avec le Pape, il priait pour que la paix se rétablît entre eux; il n’allait pas au delà. Après la rupture du roi avec Rome, les Eglises avaient toujours des évêques, des prêtres; la Messe était célébrée, les sacrements administrés, la Sainte Vierge toujours honorée d’un culte. En apparence, il n’y avait aucun changement; le peuple n’allait pas au fond des choses. On voyait passer les martyrs marchant à la mort; on les considérait comme des révoltés contre l’autorité royale. Il y eut il est vrai, quelques tentatives, dans le Nord de l’Angleterre, pour défendre la suprématie du Pape, mais la masse du peuple restait tranquille et continuait à se croire catholique.

« Sous Marie Tudor, le cardinal Pole avait réconcilié solennellement l’Angleterre; Elisabeth consomma le schisme par degrés et établit le règne de l’hérésie (3).

« Maintenant, mon cher enfant, vous aurez à prêcher la foi catholique à un peuple qui l’a entièrement perdue de vue depuis trois siècles.

« Le peuple anglais est resté religieux au fond. Il aime à s’instruire; il n’est point indifférent ni surtout sarcastique. Le nombre des âmes de bonne foi est immense en Angleterre. On croit à l’inspiration de la Bible; c’est une base solide pour la controverse. Devenez donc très fort en exégèse. Sous ce rapport, vous aurez, en Angleterre, de puissants moyens de vous instruire, car la Bible y est sérieusement étudiée. Vous prêcherez un jour en anglais. Votre ardeur française, modérée par le calme anglais, peut faire de vous un prédicateur populaire. Ne visez pas à l’effet; soyez simple, clair et logique. Fuyez les applaudissements: Pro Christo legatione fungimur.

« Prêchez surtout le dogme; citez, avec précision, l’Ecriture Sainte; appuyez-vous sur les premiers Conciles et sur les Pères des cinq premiers siècles puisqu’ils sont acceptés par les anglicans.

« Evitez la controverse agressive. Comme les apôtres, prêchez, exposez la vérité, et laissez faire la conscience sous l’influence de la grâce.

« Un Anglais célèbre, le protestant lord Macaulay (4), a écrit: « On ne convertit pas les hommes à coup d’in-folios. » Saint Ambroise n’a-t-il pas dit: « Ce n’est pas par la dialectique que Dieu veut sauver le monde! » Soyez apostolique dans votre enseignement. Etudiez beaucoup; préparez vos prédications avec soin; ne les écrivez pas dès que vous serez parvenu à maîtriser la langue anglaise, si vous avez la parole facile. Soyez en rapport direct avec votre auditoire; ne vous contentez pas de prêcher devant lui. Le style de la conversation relevée, qui n’exclut pas les mouvements oratoires venant naturellement et à propos, est, croyez-moi, le vrai style pour un prédicateur de l’Evangile. c’est du reste, le vrai genre anglais.

« L’Anglais aime l’action oratoire; mais selon ce que me disait le cardinal Wiseman, il veut qu’un homme soit maître de lui-même par une ardeur contenue, un geste sobre, une passion comprimée. Le cavalier qui règle les mouvements de son coursier est plus admirable que celui qui fait flotter les rènes et se laisse emporter.

« Prêchez souvent sur l’Eglise: sa constitution politique, son gouvernement, sa justice, son droit d’enseigner. Montrez aux Anglais que Jésus-Christ a fondé une Eglise qui est un royaume gouvené par un monarque, son Vicaire sur la terre.

« Tous ces innombrables martyrs anglais, tombés pour la défense de la suprématie pontificale, béniront votre ministère. En Angleterre, à Londres surtout, vous foulerez un sol qui a bu le sang des héros de la foi catholique. Croyez-vous que tant de saints, couronnés au ciel, restent indifférents à la conversion du peuple anglais?

« Allez, mon cher enfant, où Dieu vous envoie. Devenez un saint, un prêtre détaché de tout, n’ayant d’autre pensée que la gloire de Dieu et l’extension du règne de ce Roi que nous avons l’honneur de servir.

« On appelait l’Angleterre, autrefois, l’île des Saints et le douaire de la Sainte Vierge. Allez coopérer à faire revivre ces titres glorieux. Ne nous perdons pas de vue, mon cher enfant; écrivez-moi souvent, en me tenant au courant de vos oeuvres. Mon coeur restera toujours, vous le savez, à côté du vôtre. » (5)

Notes et post-scriptum
1. C'est au mois de mai 1866 que l'abbé Galeran partit pour l'Angleterre. L'affaire était en route depuis la fin de 1864 (v. *Lettre* 2433, n.1)
2. Wiseman, Manning, Newman: v. plus haut E00599.
3. Points de repère: Henry VIII roi d'Angleterre de 1509 à 1547 - Edouard VI, fils de Jane Seymour, 1547-1553 - Marie Tudor, fille de Catherine d'Aragon, 1553-1558 - Elisabeth I, fille d'Anne Boleyn, 1558-1603. - Rupture avec Rome sous Henry VIII: 1534 sous le pontificat de Clément VII (1523-1534) - Restauration catholique éphémère sous Marie Tudor, secondée par le cardinald Reginald Pole (1500-1558).
4. Thomas Babington, lord Macaulay (1800-1859): historien et critique, auteur notamment d'un célèbre *Histoire d'Angleterre*, restée malheureusement inachevée.
5. On peut se demander dans quelle mesure l'abbé Galeran n'a pas enrichi le discours qu'il met dans la bouche du P. d'Alzon, des acquis de son expérience postérieure de l'apostolat en Angleterre, et du même coup, au compte de qui il faut mettre l'humour qui transparaît en quelques endroits.