PROPOS DU P. D’ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN

1855 Montpellier Dames
Informations générales
  • PROPOS DU P. D'ALZON RAPPORTES PAR H. GALERAN
  • La part de Dieu
  • H.D. Galeran, Croquis du P. d'Alzon, B.P. (1924)
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • Dames de Montpellier
  • Dames
  • vers 1855
  • 1855
  • Montpellier
La lettre

[Le P. d’Alzon s’adresse à un auditoire de dames, parmi lesquelles se trouvent d’anciennes clientes du Dr Barre (1), qu’elles désapprouvent d’avoir laissé la carrière médicale pour se préparer au sacerdoce]

Ecoutons le Père, voici ses paroles: « Dieu est le maître suprême et absolu de tout, puisqu’il a tout créé: les hommes et les choses, les esprits et les corps. Mea sunt enim omnia, dit le Seigneur (Exod. XIII, 2): Tout m’appartient. Toutes les créatures sont sous ma dépendance souveraine; il peut en faire ce que bon lui semble. Il a droit à l’hommage, à l’amour, au sacrifice de ses créatures; en un mot, à un culte qui se résume dans cette vertu: l’obéissance. La raison seule, sans le secours de la révélation, nous enseigne déjà cette doctrine.

« Il n’y a, parmi les hommes, aucune exception à cette loi d’hommage. Elle est pour les puissants comme pour les faibles, pour les riches comme pour les pauvres, pour les savants comme pour les ignorants. Elle saisit et oblige les bien portants et les malades, ceux qui marchent droit et les boîteux, ceux qui voient clair et les aveugles, les beaux et les laids, les sains de corps et d’esprit aussi bien que les lépreux et ceux qui sont bornés. Vous le voyez, il n’y a point d’exception, même pour les médecins.

« C’est pourquoi le Dr Barre, ayant entendu l’appel de Dieu, a cru devoir obéir. Tandis que vous, ou du moins beaucoup parmi vous, le blâment d’avoir obéi.

« Mais pourquoi le blâme-ton? Parce que l’on sera privé de ses soins habiles et de ses sages conseils. C’est ainsi qu’on se préfère à Dieu.

« On m’accuse d’avoir donné mon avis en cette affaire, dont j’aurais, dit-on, précipité le dénouement. Si j’ai donné mon avis, c’est probablement parce qu’on me l’avait demandé; et si j’ai hâté le dénouement, c’est qu’il m’a toujours paru bon de se lever et de partir dès que Dieu avait parlé, n’importe en quelle façon. Je le déclare ici, je n’ai rien à regretter.

« Quoi! vous vous plaignez du départ du Dr Barre parce qu’il était trop habile, trop utile, trop couru dans sa profession pour l’abandonner afin de devenir prêtre! Ah! quelle perfide doctrine, fausse, injuste, sans générosoté, injurieuse à la Providence divine! Vous voulez donc jeter à Dieu, pour son partage, ce que vous n’aimez pas, ce qui ne vous est d’aucun avantage, afin de garder pour vous et pour le monde ce qui plaît et paraît avantageux! Voilà les offrandes de choix que nous réservons pour Dieu! A lui ce qui est vil, laid, repoussant et difforme au moral comme au physique; à nous tout ce qui est parfait et attrayant.

« Beaucoup de chrétiens, hélas! pensent et agissent comme les mondains: on fait la part de Dieu et celle du monde ou du diable. La part de Dieu est toujours la plus mesquine. A Dieu les pauvres, les boîteux, les borgnes, les imbéciles. Voilà une fille laide; qu’elle aille au couvent pour être l’épouse de Jésus-Christ. Voici une fille riche, belle, accomplie; il faut la garder pour orner la société, et, si elle se sent appelée à la vie religieuse, il faut briser cette vocation. De quel droit Dieu voudrait-il nous priver de cette charmante créature? Qu’il prenne la cadette qui est louche et n’a pas beaucoup d’esprit; nous nous soumettrons alors à sa volonté…

« Tel est le langage des gens du monde qui n’ont pas le sens du Christ, dont se vantait saint Paul: Nos autem sensum Christi habemus ( I Cor. II, 16)

« Je vous dis avec la plus entière franchise que, pour ma part, j’aime les corps difformes autant que les autres, à cause de l’âme qu’ils recouvrent, car cette âme est marquée du sang royal de mon Sauveur. Mais je m’efforcerai toute ma vie de donner à Dieu ce que je trouverai de plus parfait parmi les fils et les filles des hommes, dès que je découvrirai en eux et en elles une marque de vocation. Je mourrai content si j’ai réussi à remplir les couvents de jeunes vierges arrachées au monde pour être consacrées au service de la prière et de l’expiation des péchés du monde. Certes, je préfère le sacrifice virginal, fait à la fleur de l’âge, dans le suave épanouisement d’un coeur pur, à celui d’un vieux débauché ou d’une vieille mondaine qui, enfin lassés, épuisés, déçus, renoncent à ce qu’ils n’ont pu retenir, et consacrent à Dieu les tristes restes d’une vie que Dieu cependant, leur avait donnée pour être tout entière à son service.

« Les infirmes, les ignorants, les disgraciés de la nature sont précieux devant Dieu aussi bien que les convertis tardifs. Mais nous n’avons pas le droit, nous, je le répète, de régler la part de Dieu selon nos caprices et nos passions. C’est dire: « Prenez pour vous, Seigneur, ce que nous avons cessé d’aimer! » Je vous en conjure, prions pour la conversion des pécheurs; mais prions aussi pour la conversion des bons; afin que Dieu élève leur esprit, élargisse leur coeur et leur donne le vrai sens de l’Evangile… »

Notes et post-scriptum
Extrait de "La part de Dieu" p.281-284, dans *Croquis du P. d'Alzon*, p.279-284.1. Avant de s'orienter vers le sacerdoce, le Dr Louis Barre (+1872) était un médecin réputé et très en vogue à Montpellier, où il professait à la faculté de médecine. Il y fut le professeur du P. Galabert, lequel obtint le titre de docteur en médecine, en 1854, avec une thèse intitulée "Essai historique sur la variole". En 1855, le maître et l'élève, qui s'était engagé dans la congrégation de l'Assomption, se retrouvèrent à Rome pour leurs études théologiques. Ils reçurent ensemble la tonsure le 16 mai 1856 et, le 30 juin suivant, l'abbé Barre assista à la profession de son ancien élève. Le P. Galabert reçut l'ordination sacerdotale le 7 juin 1857, l'abbé Barre fut ordonné prêtre un an plus tard, le 29 mai 1858. - Toute sa vie l'abbé Barre garda d'excellentes relations avec l'Assomption et spécialement avec le P. d'Alzon et le P. Galabert. Il mourut subitement en mai 1872. "Il était venu dix jours auparavant déjeuner ici, écrit le P. d'Alzon, et il était mort le matin, quand à midi une lettre de lui m'invitait à aller le voir" (à A. Dumazer, 15 mai). Quant au P. Galabert, il écrit : "C'est une véritable perte; mais c'est aussi un saint de plus dans le ciel et je le regarde comme un protecteur pour nous" (au P. d'Alzon, 20 juillet).