Aux élèves du collège

25 dec 1871 Nîmes COLLEGE Elèves

Mon fils, le P. Emmanuel – Importance des associations et spécialement des associations ouvrières – Le travail des élèves et l’exemple des anciens élèves – L’action du P. Hippolyte au Vigan – Le lien de la charité – Jésus-Christ ouvrier.

Informations générales
  • Aux élèves du collège
  • Réponse au compliment de fête, Noël 1871
  • *Pages d'Archives*, II, n°8 (mai 1958), p.215-216.
  • D'après *Pages d'Archives*, II, n°8, p.215-216, reproduisant des notes de Louis Allemand, conservées aux ACR (6).
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • Elèves du collège
  • COLLEGE Elèves
  • Noël 1871
  • 25 dec 1871
  • Nîmes
  • Collège de l'Assomption
La lettre

M.C.C.

M. de Larcy (1) me disait, il y a quelques jours: On a dit qu’Homère avait fait sa plus belle oeuvre en faisant Virgile. Ma plus belle oeuvre à moi, c’est mon fils le P. Emmanuel (2). Et, puisqu’il est votre père, permettez-moi de lui reporter pour sa part, le compliment que vous m’avez adressé et de lui souhaiter, en votre nom, cette fête qui est notre fête commune.

Dans les paroles que vous m’avez adressées, j’ai eu surtout plaisir à vous entendre parler de vos associations de charité. Partout, mes amis, on éprouve le besoin de s’associer et la charité est le lien de toute association durable. A Nîmes, se forment des associations sous forme de cercles, sous forme d’unions, de l’ordre et sous d’autres titres encore. C’est le besoin impérieux du moment, et des sociétés pour le maintien de l’odre se forment partout comme par enchantement. Elles varient dans leur organisation, dans leurs moyens d’action; et cela est bon, il faut laisser à chaque oeuvre qui naît son caractère propre, sa liberté d’essor; la charité en fera le lien commun.

Voilà pourquoi j’ai été particulièrement touché de vos essais de patronage et des résultats heureux que la première division, à qui je m’adresse surtout en ce moment, a obtenus. Les enfants que vous instruisez sont déjà nombreux. Continuez, mes amis, ne vous lassez pas; je veux qu’on suive cette voie, qu’on s’y engage chaque jour davantage; il faut s’associer et s’associer dans l’intérêt des classes ouvrières. Il m’a été particulièrement agréable que le compliment où vous m’entretenez de ces choses m’ait été adressé par M. Brunel dont le père est un des hommes que j’estime et que j’aime le plus et en qui, de vieille date, j’ai mis toute ma confiance (3). Hier encore, sans doute au moment où son fils ruminait le compliment qu’il vient de m’adresser en votre nom, je m’entretenais avec M. Brunel des moyens les plus efficaces de créer ou d’entretenir des associations de l’ordre, des associations charitables, mais surtout des associations ouvrières (4).

La présence des anciens élèves que j’aperçois avec bonheur en ce moment au milieu de vous vient ajouter à nos exhortations l’appui de l’exemple. Ils reviennent plus nombreux encore à la maison maternelle de leur intelligence et de leurs pensées. Ils viennent en quelque sorte vous montrer en eux la tradition vivante de cette maison; en les voyant, notre penseé unit les premiers temps où l’Assomption ne connaissait encore pour Père que son fondateur aux temps actuels où son fils est devenu le père à son tour. Je vous montrais la voie tout à l’heure; maintenant je vous dis: Voyez vos aînés qui déjà y sont généreusement engagés, vous n’aurez qu’à les suivre. Eux aussi s’associent entre eux, sans compter qu’ils font partie de diverses associations d’ordre ou de charité.

Vous avez bien entendu parler d’un autre de mes fils, le P. Hippolyte que les plus anciens ont encore pu connaître ici. Eh bien, le P. Hippolyte créa au Vigan des associations qui marchent admirablement, il combat victorieusement l’Internationale (5). La haine, chose étrange, forme de nos jours des associations plus tenaces et plus unies que les associations de charité! Toutefois, ne craignons pas; la haine divise tôt ou tard, et tôt ou tard aussi la charité réunit; il peut y avoir, il y a toujours des imperfections dans les associations, comme dans toutes les oeuvres humaines. L’Eglise elle-même qui est sans tache et sans ride, comme dit saint Paul, renferme en son sein des hommes imparfaits. A plus forte raison, nos oeuvres présenteront-elles des côtés humains, des vices de détail, des imperfections de plus d’un genre. Mais, par un certain côté, elles ont quelque chose de divin; elles ont un principe de perfection, un principe pur et sans tache de charité.

Sachons faire bon marché de ce qui divise. A l’Assomption, l’esprit a toujours été un esprit de liberté en tout ce qui touche les formes variables. Les plus jeunes n’entendent guère ce qui fait une monarchie ou démocratie. Les hommes faits entendent-ils toujours bien ces mots? Mais il y a une chose qu’il faut poursuivre en ce moment de toute l’ardeur de nos âmes: c’est l’oeuvre des associations ouvrières. A l’âge que vous avez, les uns et les autres, Jésus-Christ était un enfant comme vous, mais il était ouvrier, il travaillait dans la boutique de saint Joseph, et il avait choisi cet état, il avait choisi le travail manuel, le travail pénible. Cette préférence accordée par un Dieu au travail des mains est un grand exemple. Vous appartenez à des familles aisées, et vous avez le bonheur d’être élevés dans une maison qui est une famille. Eh! bien, en vous occupant des enfants d’ouvriers, vous faites l’oeuvre la plus en harmonie avec ce temps de Noël où Jésus nous est montré pauvre et grandissant autour d’un établi de menuisier.

Je suis si content de vous voir occupés d’une oeuvre si opportune, si appropriée aussi bien à ces temps de discorde et d’irréligion qu’à ce temps où l’Eglise fête l’enfance de l’Emmanuel, que je vous offre, pour ma fête, un don de cent francs qui vient de m’être fait pour être appliqué à des oeuvres de charité.

Les plus grands sont déjà capables d’oeuvres sérieuses. Il est très bon qu’ils deviennent rhétoriciens et non rhéteurs, philosophes et non sophistes, mathématiciens même sans être exclusifs, sous la direction de leurs bons maîtres. Mais avant tout qu’ils continuent la tradition de la maison, qu’ils suivent les traces de leurs aînés. Et la famille de l’Assomption avec le P. d’Alzon pour grand-père, avec le P. Emmanuel mon fils pour père, MM. Durand, etc., pour frères, poursuivra son oeuvre catholique et, par vous, fondera des oeuvres de charité et surtout des associations ouvrières.

Vous avez accompagné votre compliment de cris qui partaient du coeur, je le sais. Mais ne dites plus: Vive le P. d’Alzon. Dite, si vous voulez: Vive Emmanuel Ier à la condition d’ajouter: Vive Emmanuel II.

Notes et post-scriptum
1. Charles-Paulin-Roger de Saubert de Larcy (1802-1885), député du Gard, avait reçu la charge des Travaux publics dans le ministère formé par Adolphe Thiers après les élections du 8 février 1871.
2. Le P. Emmanuel Bailly remplaçait son frère Vincent de Paul à la direction du collège de Nîmes depuis la rentrée scolaire de 1867-1868. Au début cependant il ne porta officiellement que le titre de sous-directeur (v. notamment *Lettres* 3049 et 3113, n.3).
3. Louis Brunel fut élève au collège de Nîmes de 1864 à 1872. Voici ce que le P. d'Alzon écrivit au sujet de son père, Numa Brunel, quand ce dernier mourut en 1876: "J'ai perdu hier un de mes vieux amis, M. Numa Brunel, avec qui nous avions combattu pour la cause catholique. C'était un des hommes au jugement de qui j'avais le plus de confiance. Il avait seulement trois ou quatre ans de plus que moi..." (à Mère M.-Eugénie de Jésus, 9 mai 1876). - *L'Assomption* du 15 mai 1876 l'appelle: "Un des plus anciens et des plus dévoués amis de l'Assomption, et dont le souvenir est justement cher à toutes les bonnes oeuvres de Nîmes".
Des notes du P. d'Alzon, datant vraisemblablement de 1871, dressent un tableau de l'organisation (effective ou en projet?) des catholiques à Nîmes. On y trouve quatre comités: Comité des journaux, des brochures, des cercles et des élections. Le nom de Brunel figure dans le Comité des cercles et dans celui des élections (Orig.ms ACR, CQ 245; D00209).
4. En cette année 1871, après la Commune de Paris, le P. d'Alzon est plus convaincu que jamais que le redressement de la société passe par la rechristianisation de la classe ouvrière. Aussi, s'il pousse vigoureusement les catholiques à s'associer dans tous les domaines, il appelle surtout à la création d'associations ouvrières. C'est précisément pour soutenir les oeuvres ouvrières par la prière et l'aumône que ses fils viennent de fonder à Paris, en ce mois de décembre 1871, l'*Association de Notre-Dame de Salut*. - Sur ce sujet voir par exemple le chapitre XXIX de la *Documentation biographique* (II, p.872-924) et spécialement les pages 878-883.
Ajoutons que le P. d'Alzon vient de donner à Ste Perpétue à Nîmes, du 18 au 22 décembre, une série de conférences sur l'organisation des catholiques.
5. Au cours d'un séjour tout récent au Vigan, où il est resté un bon mois (du 6 novembre au 11 décembre), le P. d'Alzon a pu se rendre compte de l'activité du P. Hippolyte: ses cercles de jeunes gens comptent 250 membres - "c'est beaucoup pour commencer" - et un Comité catholique vient de se former. Le P. d'Alzon lui-même a donné le 27 novembre, à Sumène, une instruction sur les associations.
6. [La version des *Pages d'Archives* reproduite ici, reste à confronter avec le manuscrit original conservé aux ACR. - 2 mai 2000. D.D.].