Itinéraires Augustiniens n°27 : Au risque de l’unité

Ut unum sint !  » Que tous soient un…, afin que le monde croie…  » (Jean 17, 21). C’est par cette prière du Christ que débute l’encyclique de Jean-Paul II sur l’unité (1995). Or, il faut bien le constater : les chrétiens sont divisés, et les divisions n’ont pas cessé tout au long de l’histoire. Certains baissent les bras. On l’a écrit : l’oecuménisme est en panne, la sensibilité pour l’unité en recul, le dialogue embourbé, etc. De quoi nourrir la morosité.

Editorial
L’unité à tout prix, par Marcel Neusch – Un livre à lire.

L’unité à tout prix, par Marcel Neusch

Ut unum sint !   » Que tous soient un…, afin que le monde croie…  » (Jean 17, 21). C’est par cette prière du Christ que débute l’encyclique de Jean-Paul II sur l’unité (1995). Or, il faut bien le constater : les chrétiens sont divisés, et les divisions n’ont pas cessé tout au long de l’histoire. Certains baissent les bras. On l’a écrit : l’oecuménisme est en panne, la sensibilité pour l’unité en recul, le dialogue embourbé, etc. De quoi nourrir la morosité.

Augustin n’a jamais pris son parti de la division de l’Eglise, car le Christ ne se laisse pas diviser. L’urgence de travailler à l’unité s’est imposée à lui dès son ordination sacerdotale, en 391

Augustin n’a jamais pris son parti de la division de l’Eglise, car le Christ ne se laisse pas diviser. L’urgence de travailler à l’unité s’est imposée à lui dès son ordination sacerdotale, en 391. La division entre chrétiens d’Afrique du Nord existait depuis près d’un siècle. Augustin se préoccupa de rétablir l’unité d’abord à Hippone, où la division existait jusque dans les familles. Dans une lettre à Proculianus, l’évêque donatiste de la ville, il écrit :
«  Les maris et les épouses vivent d’accord sous le même toit, et sont en désunion quand il s’agit de l’autel du Christ. Les fils habitent avec leurs parents une seule et même maison, et n’ont pas la même maison pour adorer Dieu.  »

Le dossier du schisme donatiste -le  » parti de Donat  » – est complexe. On a essayé ici de le clarifier autant que faire se peut, en explorant à la fois son volet historique, qui remonte au temps des persécutions ; son volet politique, le plus troublant, en raison du recours à la contrainte ; et son volet théologique, le plus important pour Augustin, car  » hors de l’Eglise catholique, on peut tout avoir, sauf le salut.  »

C’est dans ce contexte que s’est imposé à Augustin le thème du Christ total (Christus totus), c’est-à-dire l’étroite union entre le Christ et l’Eglise, union dont il a conclu qu’en se mettant hors de l’Eglise, les donatistes se retranchent aussi du Christ et donc se privent du salut. C’est pourquoi, la division de l’Eglise lui était insupportable. Parfois il a été tenté de réaliser l’unité à tout prix, pour ce qu’il estimait le bien des dissidents.

La rigidité des formules peut choquer. Elle ne doit pas faire oublier d’autres aspects. D’abord, Augustin reconnaît que les torts ne sont pas tous du même côté.  » L’orgueil engendre la division, la charité l’unité.  » Or, l’orgueil est partout. Ensuite, il se montre d’une générosité extrême à l’égard des donatistes, proposant à leurs évêques de partager la charge épiscopale avec eux s’ils reviennent à l’unité. Enfin, il intercède à plusieurs reprises en faveur des condamnés pour leur éviter la peine de mort.

En ce début du troisième millénaire, l’Oecuménisme ne reste pas moins urgent qu’au temps d’Augustin, même s’il emprunte d’autres voies. Des théologiens, tel le Groupe des Dombes, affrontent les obstacles doctrinaux. Les Eglises signent des accords, par exemple sur la justification. Le tout dans un climat de respect et de liberté, ce que souhaitait déjà Augustin préférant avoir en face de lui de francs hérétiques plutôt que de faux catholiques.

Marcel NEUSCH
Augustin de l’Assomption

Un livre à lire

Augustin n’a pas seulement laissé des textes, bien que ce soit son héritage le plus précieux. Il a vécu sur une terre. t’Algérie garde les traces de sa présence inscrite dans la pierre. Traces archéologiques, qui témoignent de la splendeur romaine et de la vitalité de l’Église en son temps. Paysages de couleurs et de lumière, qui n’ont guère changé, alors que les premières sont réduites à l’état de ruines.

« Conçu par une archéologue éprise du patrimoine culturel algérien, cet ouvrage a pour but de retracer une étape de la vie dAugustin : celle qui suit son retour en Afrique en 388 jusqu’à sa mort à Hippone en 430. » C’est donc à un voyage qu’invite cet ouvrage en suivant Augustin dans ses multiples déplacements au cours au fil de son activité pastorale.

Pour les lecteurs des Itinéraires augustiniens, l’intérêt de cet ouvrage est double. Il apporte d’abord un heureux complément à I. A. 25 : Les voyages dAugustin. On pourra y contempler la splendeur des paysages qu’il a traversés, et des lieux où a retenti sa parole. Cet intérêt visuel, si l’on peut dire, donne aussi aux textes d’Augustin une résonnance neuve, quand ils s’inscrivent dans la luminosité des paysages et des sites.

Mais on ne saurait oublier que la voix d’Augustin est encore trop peu connue dans l’Algérie actuelle. En son temps, Augustin y était déjà le témoin d’une histoire aussi sanglante que celle d’aujourd’hui. « Ni les lions ni les dragons n’ont déchaîné entre eux des guerres semblables à celles des hommes. » (Cité de Dieu 12, 23). Un texte que rappelle le cardinal Duval en avant-propos, et dont l’actualité n’est pas à démontrer.

Un bel ouvrage, accompagné d’un commentaire sobre et précis, qui permet au lecteur d’Augustin de conjuguer à merveille texte et terre.

M. N.

Augustin en son temps
Le combat pour l’unité, Augustin face aux donatistes, par Marcel Neusch

La Tête et le Corps forment un même tout.
(En. in Ps 40, 1)

Les écrits d’Augustin sur le  » parti de Donat  » couvrent cinq volumes de la Bibliothèque augustinienne (BA 28 à 32). Il n’était prêtre que depuis un an lorsqu’il écrivit en 392 à Maximius, évêque donatiste de Sinitum, une lettre qui porta ses fruits, semble-t-il, puisque Maximius se ralliera à l’Eglise catholique. Dès octobre 393, un concile en vue de réduire le schisme se tint à Hippone même, dans la basilique de Paix, et si Augustin, en sa qualité de prêtre, n’en fut pas membre, il eut l’insigne honneur d’y prononcer un discours sur le dogme devant les évêques . Devenu lui-même évêque en 396, son combat ne fera que s’amplifier. On évoquera ici brièvement l’histoire du schisme, ses enjeux théologiques, enfin le combat politique, le plus ambigu, dans lequel Augustin fut entra »né à son Corps défendant.

1. A l’origine de l’Eglise donatiste
Une pièce en trois actes

Les donatistes, qui se considéraient comme les authentiques héritiers de Cyprien, ripostèrent en accusant le pape d’avoir été lui-même un traditor. Ils firent appel, mais l’Empereur Constantin les débouta en novembre 316

Avec le donatisme, écrit Lancel , Augustin  » découvrait une vieille querelle de famille – les pires, comme on sait – et il se trouvait devant un fatras de rancoeurs ressassées et de haines recuites. Il lui fallait d’urgence se saisir de ce dossier tout nouveau pour lui, et il le fit avec cette extraordinaire aptitude, qu’il montrait en tout, à assimiler rapidement les nombreuses données d’un problème complexe.  » Le problème était en effet complexe, à tous les niveaux, et d’abord sur le plan de l’histoire, une pièce qui s’est jouée en trois actes.

1. Le temps des martyrs.

Pour comprendre le schisme donatiste, il faut remonter aux grandes persécutions, notamment à celle de Dioclétien, en 303. Comme dans toutes les persécutions, on exigea des chrétiens qu’ils sacrifient aux dieux de l’Empire et qu’ils livrent les Ecritures. On organisa des journées du sacrifice (dies thurificationis), imposant à chacun de brûler de l’encens en l’honneur des dieux, ainsi que des journées de la livraison (dies traditionis), au cours desquelles les chrétiens devaient remettre aux autorités Ecritures et objets de culte. Le refus entrainait la prison et le martyre. Certains s’en tirèrent en se cachant ou parfois au prix d’un subterfuge, tel l’évêque Mensurius, à Carthage, qui substitua aux Ecritures des livres hérétiques.

Dès 305, ceux qui avaient tenu bon dans la tempête, les  » confesseurs « , mirent en accusation les traditores, terme qui désigne ceux qui ont livré les Ecritures et qu’on traduit improprement par  » traîtres « , dont ils exigent qu’ils soient rebaptisés après un temps de pénitence. Parmi les personnages mis en cause figurait un certain Cécilien, diacre de Carthage : il aurait, pendant la persécution, interdit aux chrétiens de secourir les frères en prison, un risque qu’il jugeait sans doute inutile, mais qui lui fut reproché comme une trahison de la cause des martyrs. Or, c’est lui qui occupera, sans doute dès 307, le siège épiscopal de Carthage .

2. Une élection contestée.

Cécilien à peine élu fut consacré par trois évêques présents, sans attendre l’arrivée des évêques de Numidie. Or, la coutume voulait que le primat de Carthage fut consacré par eux. Quand ces derniers arrivèrent, au nombre de 70, ils refusèrent de reconnaître Cécilien. A Carthage même, ils trouvèrent un appui parmi les opposants à Cécilien, dont deux prêtres qui avaient espéré être élus à sa place, ainsi qu’une dame influente, Lucilia, brouillée avec Cécilien à qui elle ne pardonnait pas de l’avoir rabrouée en raison de ses dévotions aux reliques des martyrs. A cette occasion devait aussi se réveiller une vieille et sourde rivalité entre la Numidie intérieure, montagneuse, et les Carthaginois.

L’élection de Cécilien fut donc contestée pour irrégularité, d’autant plus que, parmi les consécrateurs, il s’était trouvé un certain Félix d’Abthugni, accusé d’être un traditor. Les évêques de Numidie élurent à sa place Majorin, un intrigant qui n’avait pas hésité à acheter les voix  » à raison de 400 pièces d’or chacune « . Celui-ci ne tarda pas à mourir. Il eut comme successeur Donat qui, élu en 313, occupera le siège de Carthage pendant près de 40 ans. C’est lui qui organisera la dissidence en véritable Eglise, en instituant une hiérarchie parallèle.  » C’est ainsi qu’en Afrique, conséquence en dernier lieu du heurt de prélats ambitieux et avides d’occuper ou de contrôler le siège si illustré par Cyprien, un schisme épiscopal venait à nouveau briser l’unité de la chrétienté .  »

3. Arbitrage de Rome.

Dès 313, le pape, dont les donatistes avaient sollicité l’arbitrage, reconnut la validité de l’ordination de Cécilien, une décision que devait approuver l’administration impériale. Les donatistes, qui se considéraient comme les authentiques héritiers de Cyprien, ripostèrent en accusant le pape d’avoir été lui-même un traditor. Ils firent appel, mais l’Empereur Constantin les débouta et donna ordre, en novembre 316, de confisquer leurs églises, une décision restée lettre morte. Dès 321, ils bénéficièrent d’un édit de tolérance, à la faveur duquel ils s’implantèrent dans toute l’Afrique, et même à Rome, dans la communauté africaine.

Véritable  » génie organisateur « , selon l’expression de P. Monceaux, Donat avait eu le temps de consolider son implantation, sans pourtant réussir à exporter réellement le schisme hors de l’Afrique. Il y eut par la suite plusieurs édits de tolérance. Sous Théodose, le catholicisme devint religion d’Etat (édit de Thessalonique, 28 février 380), et les autres cultes perdirent toute existence légale. L’hérésie sera dès lors considérée comme  » crime public « , ce qui ne l’empêcha pas de proliférer, ni les donatistes de s’implanter solidement dans le pays.

2. Les enjeux théologiques:
« Hors de l’Eglise catholique, on peut tout avoir, sauf  le salut »

Notre discussion avec les donatistes porte non pas sur le Chef, mais sur le Corps, non pas sur le Sauveur Jésus-Christ lui-même, mais sur son Eglise.

Pour refaire l’unité catholique, Augustin ne pouvait guère compter sur le pouvoir impérial trop fluctuant. Son combat fut d’abord théologique. Les griefs que les donatistes faisaient à l’Eglise catholique lui étaient connus : «  Ils nous font reproche, écrit-il, d’avoir livré les Ecritures, d’être persécuteurs, de donner un baptême sans valeur .  » S’il ne nie pas les deux premiers de ces griefs – certains évêques avaient été effectivement des traditores et le recours à la contrainte (persecutio) était dans les moeurs de l’époque -, Augustin s’attache surtout à réfuter le troisième, la question du baptême, indissociable pour lui de l’unité de l’Eglise et de la question du salut. Car on ne peut pas appartenir au Christ (Tête) si on n’appartient pas à son Corps (l’Eglise), et si l’on n’appartient pas à son Corps, on s’exclut du salut.

1. Où est la véritable Eglise ?

La question primordiale est donc de savoir où se trouve la véritable Eglise. Augustin, qui s’était constitué un dossier solide sur l’histoire du schisme , ne cesse de rappeler que là résidait la divergence principale entre catholiques et donatistes. « Notre discussion avec les donatistes porte non pas sur le Chef, mais sur le Corps, non pas sur le Sauveur Jésus-Christ lui-même, mais sur son Eglise.  » (De unitate ecclesiae IV, 7) –  » Voici, n’est-ce pas, la question discutée entre nous : Où est l’Eglise ? Chez eux ou chez nous ? De toute façon, il n’y en a qu’une…  » (ib. II, 2). Chacun prétend être la véritable Eglise, et l’on échange des arguments scripturaires pour le prouver :

– Pour les donatistes , l’Eglise, c’est «  le jardin bien clos, la source scellée  » du Cantique des cantiques (4, 12), ou encore l’arche de Noé, une Eglise «  sans tache ni ride  » (Eph 5, 27), qui rassemble uniquement des gens intègres. Si l’arche fut goudronnée à l’extérieur, c’est pour protéger ses habitants des eaux impures, et à l’intérieur, pour éviter que ne s’en échappent les eaux salutaires du baptême . Cette idée de pureté, ils la poussaient si loin que, quand ils s’emparaient d’une église catholique, ils en lavaient les murs, aspergeaient les parquets d’eau salée, brisaient les autels, et soumettaient à un nouveau baptême tous ceux qui venaient vers eux, ce qui faisait dire à Possidius que le parti de Donat était  » occupé à rebaptiser la moitié de l’Afrique « .

– Augustin, qui met l’accent sur l’universalité de l’Eglise, recourait lui aussi à l’image de l’arche, mais c’était dans un sens tout différent. Alors que les donatistes soulignaient l’étanchéité de l’arche, Augustin en faisait le symbole de l’universalité, de son ouverture à toute la race humaine.  » N’est-il pas manifeste que, depuis que ce parti (donatistes) s’est retranché de l’unité, de nouvelles nations ont cru, que d’autres sont là, qui n’ont pas encore cru et auxquelles l’Evangile ne cesse d’être annoncé chaque jour ?  » Il s’agit certes d’une universalité non pas de nombre, mais de communion. Or, les donatistes sont un parti, non une Eglise : ils sont en rupture de communion. Il leur manque la charité.

2. Validité du baptême.

Seul le catholique bien disposé reçoit le sacrement recte, utiliter, salubriter, fructuose, ad salutem ; à lui seul, il est utile : prodest ; au contraire le dissident et le mauvais catholique reçoivent le baptême perniciose, poenaliter, ad judicium

C’est ici qu’intervient la réflexion sur le baptême, qui est la porte d’entrée dans l’arche. Alors que les donatistes considèrent les sacrements donnés par les traditores comme invalides, Augustin fait dépendre leur validité non pas de la qualité morale du ministre, mais de l’action salvifique du Christ. Même donnés hors de l’unité de l’Eglise, les sacrements sont valides. Ce dernier point n’allait pas de soi, car il se heurtait de front à l’autorité de Cyprien, dont se réclamaient justement les donatistes.

Cyprien considérait en effet comme invalide le baptême donné hors de l’unité. Augustin va reprocher aux  » Cyprianistes  » – les donatistes – de mal comprendre le ma »tre en ne distinguant pas  » entre le sacrement et l’effet ou le fruit du sacrement  » . Selon Augustin, Cyprien n’a pas nié la validité d’un baptême administré par un ministre indigne, comme le prétendent les donatistes, mais seulement le baptême conféré par un ministre séparé de l’Eglise, et faisant cela, il n’a jamais dit que le baptême était invalide, mais seulement qu’il est inutile au regard du salut et même nuisible.  » Seul le catholique bien disposé reçoit le sacrement recte, utiliter, salubriter, fructuose, ad salutem ; à lui seul, il est utile : prodest ; au contraire le dissident et le mauvais catholique reçoivent le baptême perniciose, poenaliter, ad judicium . »

Si Augustin reconnaît donc qu’il existe chez les donatistes des  » biens  » d’Eglise, des vestiges d’Eglise, tel le baptême, il ajoute aussitôt qu’ils ne possèdent ces biens que pour leur perte, faute d’avoir la charité, c’est-à-dire d’être unis au Corps du Christ. Car la charité est  » le don qui compense pour l’absence de certains autres « , mais sans ce don, tout le reste  » est possédé en vain « . Quiconque vit hors de l’unité ne peut pas réellement recevoir l’Esprit. Tous les dons que les donatistes peuvent posséder ne valent donc rien. En conséquence de cette doctrine, celui qui a reçu le baptême, fût-ce par un ministre indigne ou schismatique, n’a pas à être rebaptisé, mais pour que son baptême produise son effet, il lui faut revenir à l’unité. Citons ce texte-clé d’Augustin :

« Les sacrements peuvent être possédés et administrés par ceux qui sont l’ivraie du dedans (intus = les mauvais chrétiens), non pour leur salut, mais pour leur perte qui les destine au feu ; ils peuvent l’être aussi par ceux qui sont l’ivraie du dehors (foris = les donatistes) et qui les ont reçus de l’ivraie du dedans entrée en dissidence, car la dissidence ne les leur a pas fait perdre. En voici la preuve indubitable : à leur retour, on ne les redonne pas à ceux d’entre eux qui s’étaient retirés et qui viennent à rentrer.  » (De baptismo, IV, 9, 13, BA 29)

3. Exclusion du salut.

Il ne suffit donc pas d’appartenir à l’Eglise pour appartenir au Christ. Beaucoup de ceux que l’Eglise a, Dieu ne les a pas !

Si Augustin met une telle ardeur à défendre l’unité de l’Eglise, c’est qu’il y va du salut de l’homme. Quiconque se met hors de l’unité, même s’il reçoit un baptême valide, s’exclut du salut.  » Hors de la communion de l’Eglise, écrit-il, Dieu n’a aucun des siens …  »  » Hors de l’Eglise catholique, on peut tout avoir, sauf le salut !  »  » Si quelqu’un est séparé du Corps du Christ, il n’est pas membre du Christ et s’il n’est pas membre du Christ, l’Esprit du Christ ne le nourrit pas .  » Certes, le fait d’être dans l’Eglise n’est pas une garantie de salut, car on peut être dedans, et être coupé du Christ si l’on n’a pas la charité. Mais si l’on est hors de l’Eglise, on est à tous les coups hors de l’espace où est donné le salut.

Au regard du salut, Augustin distingue en effet trois situations. Il y a les Juifs : ils sont contre la Tête, scandalisés à cause de l’humilité du Verbe fait chair. Il y a les donatistes : ils sont contre le Corps du Christ, l’Eglise.  » Il est sûr que tous ceux qui sortent de l’Eglise et se coupent de l’unité de l’Eglise sont des antichrists : que personne n’en doute … En voilà qui sont sortis du milieu de nous et sont devenus donatistes … » (In Jo Ep. III, 7). A côté des Juifs qui renient la Tête, et des donatistes, séparés du Corps du Christ, il y a aussi les mauvais chrétiens.  » Cherchons donc qui le nie : et ne nous arrêtons pas aux mots, mais aux actes.  » (In Jo Ep. III, 8). Il ne suffit donc pas d’appartenir à l’Eglise pour appartenir au Christ. Beaucoup de ceux que l’Eglise a, Dieu ne les a pas !

3. L’ambiguïté du combat politique
 » Contraignez-les d’entrer « 

Les débats devaient tourner à la confusion des donatistes et Marcellin  » trancha en faveur de l’unité catholique « . Désormais, le donatisme était hors la loi.

Le combat théologique s’avéra insuffisant. Si Augustin devait finalement accepter le recours à la contrainte du pouvoir politique – contrainte légale, mais aussi physique -, c’est que la situation s’était passablement dégradée, les donatistes n’hésitant pas à s’en prendre aux biens et aux personnes des catholiques. Ils s’étaient alliés à cette fin avec les circoncellions, bandits des grands chemins qui semaient partout l’insécurité, surtout dans les campagnes. On peut repérer ici encore trois problèmes : l’extension du climat d’insécurité, la condamnation des donatistes en 411, enfin le débat sur le recours à la contrainte.

1. Un climat d’insécurité.

Les circoncellions étaient devenus  » l’aile extrémiste et violente de l’église donatiste  » . Ainsi appelés parce qu’ils rôdaient autour des granges (circum cellas), ou des chapelles des martyrs (cellae), ils semaient la terreur dans le pays. Augustin écrit :  » On les appelle circoncellions parce qu’ils vagabondent autour des celliers  » (En in Ps 137, 3). Ils se recrutaient parmi les ouvriers agricoles, journaliers allant de ferme en ferme en louant leur travail, prolétariat rural en révolte contre Rome et les grands propriétaires romains. Très tôt, ils ont fait cause commune avec les donatistes, n’hésitant pas à massacrer et à tuer, en utilisant en particulier un gros bâton qu’ils appelaient leur Israël. Augustin décrit ainsi la situation :

«  Quel est alors le maître qui n’eût pas à craindre son serviteur, quand celui-ci se mettait sous la protection de ces furieux ? Qui aurait osé faire la moindre menace à un de ces brigands ? Provisions enlevées dans les maisons, refus de payer les dettes, tout était permis … Les maîtres étaient menacés du bâton, de l’incendie de leur maison, de la mort même par de misérables esclaves, qui les forçaient à anéantir les titres de leur servitude … Quel secours pouvait-on attendre contre ces violences, ou des lois ou des autorités civiles ? Quel officier public aurait osé souffler mot en leur présence ? Quel percepteur a jamais exigé d’eux les impôts qu’ils refusaient de payer ? Qui a osé venger la mort de ceux qu’ils avaient assassinés ?  » (Lettre 185, 15).

Possidius rapporte qu’un jour, Augustin n’échappa à leur piège que par l’erreur de son guide qui l’avait conduit par  » une autre route que celle qui conduisait là où il se rendait « . Possidius lui-même fut victime d’une embuscade : les circoncellions le dévalisèrent, s’emparant de ses montures et de ses affaires. «  Conséquence : ces donatistes rebaptiseurs devenaient odieux même à leurs coreligionnaires.  » (Vita § 10). Si Augustin, comme les autres évêques d’Afrique, consentit à faire appel à l’autorité impériale, c’est que la situation était devenue intolérable. La seule façon de créer les conditions de la liberté était de libérer le pays de la terreur qu’ils y semaient.

2. La conférence de Carthage, en 411.

En 401 déjà, un concile qui s’était tenu à Carthage avait décidé d’engager avec les donatistes une discussion «  avec douceur et dans un esprit de paix « . Un autre concile projeté à Carthage, en 403, fut récusé par les donatistes jugeant indigne une rencontre entre les fils des martyrs et les descendants des traditores. En 407, un édit de l’empereur avait rétabli l’unité en faveur des catholiques, mais il ne fut pas appliqué. Les donatistes avaient d’ailleurs obtenu en 410 un nouvel édit de tolérance. La crise allait connaître son épilogue à la conférence de Carthage, en 411. La chute de Rome (410) montra l’urgence de rétablir l’unité de l’empire. Les deux partis furent donc convoqués à Carthage pour une conférence qui devait réunir près de 600 évêques au total – 285 donatistes, et 286 catholiques !

La conférence s’ouvrit le 8 juin 411. Le commissaire de l’empereur, Marcellin – impliqué plus tard dans un complot, il sera exécuté… et proclamé saint -, fit preuve d’une patience exemplaire. Les catholiques se voulaient conciliants en offrant aux donatistes, une fois reconnue l’orthodoxie de la foi, de partager à égalité avec eux les responsabilités épiscopales. Il s’agissait pour eux non de triompher, mais de se réconcilier .  » La ligne de conduite des catholiques était nette, écrit Lancel : faire la démonstration de la vérité de leurs thèses ecclésiologiques, en donnant la priorité à la discussion des textes scripturaires. Le souci principal des donatistes était d’éviter le combat, sur les deux terrains proposés par l’adversaire : débat sur les textes, et recherche des responsabilités historiques …  »

Jusqu’au bout, Marcellin s’efforça de  » tenir la balance égale «  entre les deux groupes (Lancel). Mais l’entente s’avéra impossible. Les débats devaient tourner à la confusion des donatistes et Marcellin «  trancha en faveur de l’unité catholique « . Désormais, le donatisme était hors la loi. Ses biens devaient être transférés aux catholiques, les clercs récalcitrants seront exilés et les fidèles soumis à l’amende. S’il y a des retours en masse à l’unité catholique, il y a aussi des résistances tenaces. Augustin rapporte (Lettre 139, 2) le cas d’un certain Macrobius qui, interdit de séjour à Hippone, parcourait les campagnes à la tête d’une horde de fanatiques, hommes et femmes, et se faisait ouvrir de force les chapelles confisquées . L’application de ces sanctions s’avéra donc délicate.

3. Justification de la coercitio.

Fallait-il recourir à la coercitio ? Augustin n’y était pas favorable, estimant qu’on devait être libre de choisir sa religion. Il n’a jamais eu recours à la coercition ni à l’égard des Juifs, dont il respecte la liberté de culte, ni à l’égard des paoens, tout en approuvant les lois interdisant le culte des idoles, ni à l’égard des manichéens, avec lesquels il préfère engager un débat d’idées. Que son attitude ait été différente dans le cas des donatistes, on peut le comprendre à partir de l’insécurité dont ils étaient responsables. Augustin s’en explique dans une célèbre lettre sans doute de 408 :

 » Primitivement, en effet, mon avis se ramenait à ceci : personne ne devait être contraint à l’unité du Christ ; c’est par la parole qu’on devait agir, par la discussion qu’on devait combattre, par la raison qu’on devait vaincre : je craignais qu’autrement nous n’eussions comme faux catholiques ceux que nous avions connus comme francs hérétiques. Mais cette opinion, qui était mienne, devait céder, non devant des mots, mais devant des exemples. Pour commencer, on m’opposait ma propre cité qui, jadis tout entière acquise au parti de Donat, se convertit à l’unité catholique par crainte des lois impériales… Et il en était de même pour beaucoup d’autres cités dont les noms m’étaient énumérés… Combien en effet en connaissons-nous dont on peut affirmer qu’en eux se manifestait déjà le désir d’être catholiques, … mais que la crainte d’une violente réaction de la part des leurs poussait chaque jour à différer ! ... »

A partir du moment oùil avait souscrit à l’usage de la coercition, Augustin se devait d’en fournir une légitimation. Dès 405, il la justifiait par la fin qu’elle visait, en distinguant bonne et mauvaise contrainte :  » Il ne faut pas considérer la contrainte en soi, mais considérer ce à quoi vise la contrainte, si c’est au bien ou au mal.  » (Lettre 105, 2). Il fait une différence entre une  » persécution injuste  » – celle qui est faite à l’Eglise – et une  » persécution juste  » – celle que «  les Eglises du Christ font aux impies  » (Lettre 185, 2) . C’est dans ce contexte qu’il énonce le fameux :  » Aime (dilige) et fais ce que tu veux !  » (In Jo Ep. tr. VII, 8). Mais n’y a-t-il pas une contradiction à recourir à la contrainte, alors que la foi suppose la liberté ?

Le seul motif qui, finalement, justifie la coercition, est d’ordre pratique. Si la coercition porte atteinte à la liberté des donatistes, c’est pour les empêcher de porter atteinte à la liberté des catholiques. «  Pourquoi donc l’Eglise ne forcerait-elle pas ses fils perdus à (lui) revenir, si les fils perdus en ont forcé d’autres à se perdre?  » (Lettre 185, 24). Il faut ajouter que, tout en légitimant le recours à la contrainte, Augustin plaide toujours pour que l’usage qu’on en fait soit modéré. Il interviendra à plusieurs reprises pour que les sanctions contre les donatistes, certes méritées, soient adoucies et que soit évité en tous les cas le recours à la peine capitale. A la violence des circoncellions, Augustin veut opposer la mansuétude des catholiques. Il écrit à Marcellin :

 » Quelle que soit l’énormité des crimes avoués par les coupables, épargnez-leur la peine de mort ; je vous le demande, pour le repos de notre conscience, et pour mieux montrer aux hommes la mansuétude catholique. L’avantage que nous tirons de l’aveu des criminels est de procurer à l’Eglise catholique l’occasion de signaler sa douceur envers ses plus grands ennemi … Si quelques-uns des nôtres, indignés de l’atrocité de leurs crimes, vous accusent de relâchement et de négligence, une fois cette indignation, qui est la suite ordinaire des faits récents, apaisée, on reconnaîtra toute l’étendue de votre bonté …  » (Lettre 139, 2).

« Bon gré mal gré, ils sont nos frères « 

L’unité de l’Eglise est, aux yeux d’Augustin, le signe de sa santé

Dans un livre récent, Hans Küng met au compte d’Augustin tout ce que le Moyen Age a produit de pire en matière de contrainte.  » L’évêque Augustin, qui savait parler de façon si convaincante de l’amour de Dieu et des hommes, va servir de caution au long des siècles, en raison de son argumentation fatale dans la crise donatiste. Caution de quoi ? De la justification théologique des conversions forcées, de l’Inquisition et de la guerre sainte contre les déviationnistes de tout genre .  » Peter Brown, qu’il cite, était plus nuancé :  » Augustin peut apparaître comme le premier théoricien de l’Inquisition, mais il n’était pas en mesure d’être le premier Grand Inquisiteur .  »

Augustin était avant tout passionné de l’unité. Car l’unité de l’Eglise est, à ses yeux, le signe de sa santé. Il a pu céder à des excès, excès théologique en limitant le salut à l’intérieur de l’Eglise visible, excès politique en acceptant le recours à la coercition. Mais ces excès sont toujours inspirés par sa passion pour la santé des chrétiens, c’est-à-dire leur salut : Unitas-caritas-sanitas, ces trois termes se conjuguent ensemble (Sermon 137, 1). C’est pourquoi, s’adressant aux catholiques, il leur dira :  » Mes frères, nous vous exhortons très vivement à la charité : non seulement envers vous-mêmes, mais aussi envers ceux qui sont au-dehors ; qu’ils soient encore païens, ou bien qu’ils soient séparés de nous, reconnaissant le même chef tout en étant retranchés du Corps. Bon gré mal gré, ils sont nos frères. Ils cesseraient d’être nos frères s’ils cessaient de dire : Notre Père … »

Marcel NEUSCH
Augustin de l’Assomption

Augustin maître sirituel
Le Christ total, (Christus totus), par André Brombart – La passion de l’unité. Lettre 33 d’Augustin

Le Christ total, (Christus totus), par André Brombart

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ».
A cette chair se joint l’Eglise, et c’est le Christ total,
tête et Corps  » (Tr. 1e Epître de Jean, 1, 2).

Directement liée au thème paulinien de l’Eglise Corps du Christ, la figure du Christus totus n’est pas une  » invention  » augustinienne. Dans le troisième livre de son ouvrage sur la Doctrine chrétienne, Augustin indique combien il est, sur ce sujet, tributaire du donatiste Tyconius, qui a énoncé un certain nombre de règles pour l’interprétation des Ecritures.  » La première de ces règles a justement pour objet : le Seigneur et son Corps. Nous savons grâce à elle que, quelquefois, Tête et Corps, c’est-à-dire le Christ et l’Eglise, nous désignent une seule personne.  » (De Doctrina Christiana, 3, 31).

Il ne faudrait cependant pas surestimer cette influence. Tyconius a éveillé l’attention d’Augustin sur une tradition qui lui était déjà connue, notamment à travers la prédication de saint Ambroise. De plus, Augustin va donner à ce thème du Christ total un développement sans précédent, au point qu’il deviendra une clé de son ecclésiologie.

Fidèle à sa méthode, c’est dans la sainte Ecriture qu’Augustin va puiser les ressources nécessaires à l’élaboration de ce lieu théologique. On retrouvera ainsi, en lien avec le thème du Christus totus, un certain nombre de références bibliques – presque toujours les mêmes – utilisées, selon la belle expression d’Anne-Marie La Bonnardière, en  » orchestration scripturaire « . D’abord le texte de la Genèse sur le mariage :  » C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair  » (Gn 2, 24) et son élaboration paulinienne :  » Ce mystère est grand, je veux dire qu’il concerne le Christ et l’Eglise  » (Ep 5, 32). S’y trouve fréquemment associé le verset d’Isaoe :  » Comme un époux, il m’a couronné du diadème ; comme une épouse, il m’a parée de joyaux  » (Is 61, 10). Puis, deux textes qui soulignent particulièrement combien le Christ s’identifie à ses membres :  » Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?  » (Ac 9, 4) et  » Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait  » (Mt 25,40).

En parcourant quelques textes de saint Augustin, voyons comment il met en oeuvre la figure du Christ total selon diverses accentuations christologiques et ecclésiologiques. C’est principalement dans la prédication que nous irons puiser : Augustin est pasteur avant tout, et son ecclésiologie est fondamentalement pastorale. C’est dans la vie concrète des communautés chrétiennes, et dans les problèmes auxquels elles sont confrontées -on songe particulièrement ici à la crise donatiste- que l’évêque trouve la matière de sa réflexion. Et son premier lieu d’expression se trouve dans l’enseignement donné aux fidèles à travers sa catéchèse et sa prédication.

Une incarnation prolongée

Augustin déploie une théologie de l’incarnation où apparaît fermement l’unité des deux natures, divine et humaine, du Christ

L’incarnation du Verbe constitue, aux yeux d’Augustin, l’essence du christianisme. C’est en particulier ce qu’il découvre manquer aux livres platoniciens, dont l’influence fut par ailleurs si marquante dans son cheminement (cf. Confessions VII). Bien avant le concile de Chalcédoine, Augustin déploie une théologie de l’incarnation où apparaît fermement l’unité des deux natures, divine et humaine, du Christ :  » Le Verbe a revêtu l’homme tout entier, et l’homme tout entier a été uni à la personne du Verbe… En lui, il y avait une âme et un Corps, un homme tout entier. Et l’homme tout entier était avec le Verbe et le Verbe avec l’homme ; et l’homme et le Verbe étaient un seul homme, et le Verbe et l’homme étaient un seul Dieu  » (En. Ps. 56, 6).

Pour exprimer l’union du Verbe à la chair, Augustin fait appel à l’image de la relation conjugale et, puisque cette union s’est accomplie dans la chair de Marie, il voit dans son sein virginal la  » chambre nuptiale  » dont parle le psaume 18, 6 :  » Et la couche de cet époux fut le sein de la Vierge, car, en ce sein virginal, ils se sont unis tous les deux, l’époux et l’épouse, le Verbe époux et la chair épouse…  » (Tr.1e Epître de Jean, 1, 2) Cependant, le mystère qui s’accomplit ainsi ne s’arrête pas à cette chair individuelle et concrète épousée par le Verbe. Il atteint en elle, et par elle, l’Eglise tout entière : « Le sein de la Vierge Marie est sa chambre nuptiale, c’est là qu’il est devenu la tête de l’Eglise et c’est de là qu’il s’est avancé, comme l’époux, de la chambre nuptiale.  » (Tr. Evangile de Jean, 8, 4). Le thème est synthétisé, au moyen de citations scripturaires, dans la première homélie sur la 1ère Epître de Jean :

 » Car il est écrit : « Ils seront deux en une seule chair » (Gn 2, 24) ; et le Seigneur dit dans l’Evangile : « Voilà pourquoi ils ne seront plus deux, mais une seule chair » (Mt 19, 6). Isaoe exprime au mieux comment ces deux ne font qu’un, lorsque, parlant au nom du Christ, il dit : « Comme un époux, il m’a couronné du diadème, et, comme une épouse, il m’a parée de joyaux » (Is 61, 10). Un seul semble parler, et il se donne à la fois pour l’époux et l’épouse ; car ils ne sont pas deux, mais une seule chair ; car « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). A cette chair se joint l’Eglise, et c’est le Christ total, Tête et Corps.  » (Tr. 1e Epître de Jean, 1, 2).

C’est pour signifier cette unité du Christ époux avec son Eglise épouse qu’Augustin va recourir à l’expression Christus totus. On la traduit habituellement par  » Christ total « , pourtant, selon Borgomeo, il serait plus juste de la traduire par  » Christ tout entier « . En effet, dans la perspective d’Augustin, si l’on ne peut dire que le Christ soit  » incomplet  » sans l’Eglise, on ne peut cependant l’envisager sans elle :  » Le Christ habitera-t-il donc tout seul dans sa maison ?… De qui sera-t-il la tête, s’il n’y a pas de Corps ?  » (Tr. Evangile de Jean, 41, 8) C’est ainsi que, pour Augustin,  » Une même économie régit l’Incarnation et l’Eglise, qui n’est finalement qu’une incarnation prolongée  » (Borgomeo, 211).

Tête et membres, unis par la charité

Cette solidarité du Christ Tête avec les membres de son Corps se manifeste tout particulièrement par rapport à ses membres souffrants. C’est le Christ tout entier, Tête et membres, qui supporte ce qu’ils endurent

Si la venue du Verbe dans la chair a fait de lui notre tête, il est permis de se demander comment l’unité du Corps – de ce  » Christ tout entier  » – peut subsister, maintenant que le Christ, ressuscité et glorifié, est  » assis à la droite du Père  » ? Augustin perçoit cette question dans le coeur de ses auditeurs. Sa réponse est nette : c’est par la charité que le Christ demeure uni à son Corps, à son Eglise. C’est  » parce qu’il aimait, qu’il s’est laissé non seulement toucher par Saul le persécuteur, mais aussi meurtrir sur la terre et qu’il a dit du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9, 4)  » (S. Guelf.13, 1). Donc,  » si l’on interroge l’espace qui nous sépare du Christ, il est loin de nous, si l’on interroge la charité, il est avec nous. S’il n’était pas avec nous, il ne dirait pas, dans son Evangile : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles » (Mt 28, 20)  » (S. 395, 2).

Cette solidarité du Christ Tête avec les membres de son Corps se manifeste tout particulièrement par rapport à ses membres souffrants. C’est le Christ tout entier, Tête et membres, qui supporte ce qu’ils endurent :  » S’ils avaient été séparés, aurait-il crié, du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9, 4). S’il n’avait été en nous, aurait-il dit : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger » ? (Mt 25, 35)  » (En. Ps. 148, 17).

La charité qui, dans le Christ total, unit la tête aux membres, assure aussi la cohésion entre les différents membres. «  La charité, en effet, ne souffre pas de partage « . C’est donc par la charité fraternelle que l’homme peut être agrégé au Corps du Christ, le Fils de Dieu :

 » En aimant, il devient, lui aussi, un de ses membres, et il entre par la dilection dans l’unité du Corps du Christ : et il n’y aura qu’un seul Christ qui s’aime lui-même (et erit unus Christus amans seipsum). Lorsqu’en effet les membres s’aiment mutuellement, le Corps s’aime lui-même… Quand donc tu aimes les membres du Christ, tu aimes le Christ ; quand tu aimes le Christ, tu aimes le Fils de Dieu ; quand tu aimes le Fils de Dieu, tu aimes aussi le Père. La dilection ne souffre donc pas de partage  » (Tr.1e Epître de Jean, 10, 3).

Ainsi, l’unité dans la charité est le critère ecclésiologique par excellence. En lui se vérifie notre appartenance à l’Eglise et donc au Christ. Celui qui prétendrait aimer Dieu ou encore aimer le Christ sans aimer ses frères serait un menteur. Commentant la 1e Ep »tre de Jean et, en particulier, le verset 5, 2 :  » A cela nous reconnaissons que nous aimons les fils de Dieu… « , Augustin interpelle :  » Si tu n’aimes pas les membres, tu n’aimes pas non plus la tête. Ne trembles-tu pas quand tu entends la tête crier du haut du ciel en faveur de ses membres : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9, 4). Celui qui persécute ses membres, elle dit qu’il la persécute, elle ; celui qui aime ses membres, elle dit qu’il l’aime elle. Quels sont ses membres, mes frères, vous le savez déjà : c’est l’Eglise même de Dieu.  » (Tr.1e Epître de Jean, 10, 3). Et, plus loin dans la même homélie, pour stigmatiser l’attitude des donatistes fauteurs de division, il revient sur le sujet en appliquant avec un réalisme saisissant la figure du Christ total :

 » Si tu n’aimes qu’une partie du Corps, tu es divisé ; si tu es divisé, tu n’es plus dans le Corps ; si tu n’es plus dans le Corps, tu n’es plus sous l’influence de la Tête. A quoi bon croire, si en même temps tu outrages ? Tu l’adores en sa Tête, tu l’outrages en son Corps… C’est en vain que tu m’honores, te crie la Tête du haut du ciel… C’est comme si quelqu’un voulait t’embrasser la tête en te marchant sur les pieds : peut-être est-ce avec des souliers ferrés qu’il t’écraserait les pieds, en voulant prendre ta tête entre ses mains pour l’embrasser. N’interromprais-tu pas ces démonstrations de respect en criant et en disant : Que fais-tu, malheureux, tu m’écrases ! Tu ne lui diras pas : tu m’écrases la tête, puisqu’il rend honneur à la tête, mais la tête parlerait plus fort pour les membres qu’on écrase que pour elle qu’on honore…  » (Tr. sur la 1e Epître de Jean, 10, 8).

Depuis la glorification du Ressuscité à la droite du Père, le Christ total est comme  » en ascension « . La tête est déjà au ciel, mais les membres sont encore sur terre. Et c’est à son Eglise que le Christ tête a confié le soin de ses membres :

«  Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’il monta au ciel quarante jours après sa résurrection, nous a recommandé son Corps, qui devait rester ici-bas. Il voyait que beaucoup lui rendraient honneur parce qu’il était monté au ciel, et il voyait que cet honneur serait vain si on foule aux pieds les membres qui restent sur la terre… Désormais tu n’entends plus le Christ parler sur terre ; tu l’entends parler, mais du haut du ciel. Et du haut du ciel, pourquoi parle-t-il ? Parce que ses membres étaient foulés aux pieds sur la terre. A Saul le persécuteur, il dit d’en haut : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9, 4). Je suis monté au ciel, mais je reste encore sur terre : ici, je suis assis à la droite du Père ; là-bas, j’ai encore faim, soif, je suis voyageur…  » (Tr.1e Epître de Jean, 10, 9).

 » Qui parle dans ce psaume ? « 

D’emblée, Augustin pose la règle de lecture fondamentale de tout le psautier :  » Quelqu’un me demandera peut-être quel est celui qui parle dans ce psaume. Je le dirai en peu de mots : c’est le Christ  » (En. Ps. 39,5).

Si le Christus totus apparaît comme  » étant tout entier dans l’Eglise…, un seul Christ  » (S. 341, 11), cette unité n’occulte cependant pas la distinction qui subsiste entre la Tête et les membres. Cela est particulièrement perceptible dans le commentaire augustinien des psaumes. C’est en effet dans l’interprétation du psautier qu’Augustin applique le plus largement sa conception du Christ total. C’est pourquoi cette figure théologique est très fréquente dans les Enarrationes in Psalmos.

D’emblée, Augustin pose la règle de lecture fondamentale de tout le psautier :  » Quelqu’un me demandera peut-être quel est celui qui parle dans ce psaume. Je le dirai en peu de mots : c’est le Christ  » (En. Ps. 39,5). Mais, tout aussi nettement, il recommande à ses auditeurs de bien distinguer pour entendre, tantôt la voix du Christ tête, tantôt celle de ses membres. C’est particulièrement nécessaire lorsque le psalmiste met dans la bouche du Christ des paroles qui semblent ne pouvoir lui convenir :

 » J’ose le dire, c’est le Christ qui parle. Il dira, dans ce psaume, des choses qui semblent presque ne pouvoir convenir au Christ, à la majesté de notre tête, et surtout au Verbe qui au commencement était Dieu auprès de Dieu. Peut-être même pensera-t-on que quelques-unes de ces paroles ne conviennent pas au Christ dans la forme d’esclave qu’il a prise au sein de la Vierge. Cependant, c’est bien le Christ qui parle, parce que le Christ est dans les membres du Christ. Et, afin que vous sachiez que sa Tête et son Corps ne sont qu’un seul Christ, écoutez ce qu’il a dit lui-même de leur union : « Ils seront deux en une seule chair » (Gn 2, 24). Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Et ne pensez pas qu’il parle ainsi de toute union conjugale, car l’Apôtre ajoute : « Ils seront deux en une seule chair, ce mystère est grand, je le dis du Christ et de l’Eglise » (Ep 5, 31-32). De deux, de la tête et du Corps, de l’époux et de l’épouse, il se fait donc une seule personne. Et cette admirable et excellente unité de personne est également célébrée par le prophète Isaoe, car le Christ parlant en lui en prophétie a dit : « Comme un époux, il m’a couronné du diadème, et, comme une épouse, il m’a parée de joyaux » (Is 61, 10)… S’ils sont deux dans une seule chair, pourquoi ne seraient-ils pas deux dans une seule voix ? Que le Christ parle donc, car l’Eglise parle dans le Christ et le Christ parle dans l’Eglise  » (En. Ps. 30, 2, 4).

C’est ainsi que l’on peut attribuer au Christ un verset tel que :  » Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Ps 21, 2). Si le Seigneur peut dire ces paroles, c’est « parce que nous étions là, parce que le Corps du Christ, c’est l’Eglise « (En. Ps. 21, 2, 3). Ou encore des paroles comme :  » Je mangeais de la cendre comme du pain et je mêlais mon breuvage de mes larmes  » (Ps 101, 10) :

«  Déjà je le vois dans sa forme d’esclave, déjà il porte sa chair fragile et mortelle, déjà il est venu sur terre pour mourir, et cependant je ne le vois pas encore dans cette extrême indigence :  » Je mangeais de la cendre comme du pain et je mêlais mon breuvage de mes larmes « . Qu’il ajoute donc une pauvreté nouvelle à sa pauvreté, et qu’il transfigure en lui-même le Corps de notre bassesse (cf. Ph 3, 21), qu’il soit notre tête, que nous soyons ses membres, que la tête et les membres soient deux en une seule chair… en acceptant la forme d’esclave, il a quitté son Père, mais comme fils de la Vierge, qu’il quitte aussi sa mère et s’attache à son épouse, et qu’ils soient deux en une seule chair (Ep 5, 31). De cette manière, ils seront deux en une seule voix, et dans cette seule voix, nous ne nous étonnerons plus de trouver notre propre voix :  » Je mangeais de la cendre comme du pain et je mêlais mon breuvage de mes larmes. Car il a daigné nous prendre pour ses membres. Or, parmi ses membres, il y a des pénitents  » (En. Ps. 101, 1, 2).

Sans entrer dans de subtiles discussions sur la manière dont s’opère l’effet salvateur de l’union du Christ à son Corps, notons l’insistance d’Augustin sur cette conséquence du mystère du Christ total.  » La tête sauve, les membres sont sauvés. La tête efface les péchés, les membres, eux, pleurent leur misère et confessent leurs péchés  » (En. Ps. 37, 6).  » Il est, lui, notre tête, le chef, l’époux et le rédempteur de l’Eglise. Et s’il est une tête, il a un Corps…  » (En. Ps. 138, 2). En définitive, comme nous l’avons déjà noté, c’est dans la charité que s’effectue la synthèse entre unité et distinction. C’est la charité – principe d’unité entre les Personnes divines – qui est aussi principe vital dans le Christus totus. Ainsi, notre unité avec le Christ tête ici-bas est-elle anticipation de l’accomplissement final du Royaume :  » Si, par la charité, le Christ est avec nous sur la terre, par la même charité, nous sommes avec lui dans le ciel.  » (En. Ps. 122, 1)

Bien d’autres aspects de la figure du Christ total mériteraient encore d’être mis en évidence, bornons-nous, pour conclure, à en souligner la fécondité. Sachons voir dans l’Eglise – au delà de ses rides et de ses disgrâces – ce Corps vivant de la vie même du Christ, attiré à lui et animé par son Esprit :  » Rappelons-nous que nous sommes le Corps du Sauveur, et que nous sommes personnifiés en lui. S’il n’en était pas ainsi, aurait-il pu dire : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40) ? Si nous n’étions pas personnifiés en lui, aurait-il pu dire : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9, 4) ? Il est donc ce que nous sommes, parce que nous sommes son Corps, parce qu’il est notre chef, parce que le Christ entier comprend la tête et le Corps.  » (S. 133, 8).

André Brombart
Augustin de l’Assomption
Communauté Maranatha
Bruxelles

Bibliographie :

Goulven MADEC, article Christus, in Augustinus Lexikon, vol. 1, col. 879-881. — Goulven MADEC, La patrie et la voie, Paris, 1989, 178-185. – Guy LEROY, Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Ac 9, 4b dans la prédication de saint Augustin, Bruxelles, 1986. – Pasquale BORGOMEO, L’Eglise de ce temps dans la prédication de saint Augustin, Paris, 1972, 191-273. – Voir aussi Itinéraires Augustiniens n° 21 : La prière des psaumes.

La passion de l’unité. Lettre 33 d’Augustin

Proculianus était l’évêque donatiste d’Hippone. Augustin, qui est évêque depuis peu, saisit au bond le désir que ce dernier avait manifesté d’organiser une conférence « en présence de quelques hommes de bien ». L’enjeu, c’est l’unité de l’Eglise et le salut de tous. Cette lettre exprime avec une particulière véhémence sa passion de l’unité :

Assez et trop longtemps ont duré les blessures que l’animosité d’hommes orgueilleux ont infligées à nos membres

« Qu’avons-nous à faire de toutes ces anciennes querelles ? Assez et trop longtemps ont duré les blessures que l’animosité d’hommes orgueilleux ont infligées à nos membres. Ces blessures sont tellement envenimées qu’elles nous ont fait perdre jusqu’au sentiment de la douleur qui nousfait implorer le secours du médecin.

Voyez quelle misère et quelle honte ont jeté le trouble dans les maisons et les familles chrétiennes. Les maris et les épouses vivent d’accord sous le même toit, et sont en désunion quand il s’agit de l’autel du Christ. Ils jurent par le Christ d’avoir entre eux la paix, et cette paix, ils ne peuvent l’avoir en lui. Les fils habitent avec leurs parents une seule et même maison, et n’ont pas la même maison pour adorer Dieu. Ils espèrent leur héritage et sont en dispute avec eux sur l’héritage de Jésus-Christ. Les serviteurs et les maîtres ne reconnaissent pas le Maître commun, qui a pris la forme d’un serviteur pour les délivrer tous de l’esclavage, en se faisant esclave lui-même. …

Lorsque des hommes désirent terminer leurs discussions temporelles, ils s’adressent à nous, et quand nous leur sommes nécessaires, ils nous appellent des saints et des serviteurs de Dieu, pour que nous arrangions leurs affaires terrestres. Occupons-nous donc enfin de l’affaire de leur salut et du nôtre. Il ne s’agit là ni d’or, ni d’argent, ni de biens-fonds, ni de troupeaux, toutes choses pour lesquelles ils nous saluent humblement en courbant la tête, et cela pour que nous terminions leurs dissensions humaines, mais il s’agit de Jésus-Christ, notre chef sur lequel règne entre nous une division aussi honteuse que dangereuse. Qu’ils baissent aussi humblement qu’ils le voudront la tête pour nous saluer afin que nous les mettions d’accord sur la terre ; ils ne s’abaisseront jamais autant que le divin chef en qui nous ne sommes pas d’accord, lui qui s’est abaissé jusqu’à descendre du haut du Ciel sur la croix…. » (§ 5).

« Je vous en prie, je vous en conjure, s’il y a en vous cette humanité que chacun aime à reconnaître, laissez-la éclater…, consentez à discuter avec nous sur toutes ces choses dans un esprit de paix et de conciliation … » (§ 6).

Saint Augustin
Lettre 33 (éd. Vivès, revu)

Augustin dans l'histoire
Thomas Merton et Augustin. Un contemplatif-actif, par Jean-François Petit

Voici que tu seras silencieux

L’américain Thomas Merton, né en France en 1915 et mort à Bangkok en 1968, est l’un des plus grands spirituels de ce 20e siècle. Moine trappiste mais aussi écrivain, poète, photographe,  » pacifiste  » engagé contre la bombe atomique, la guerre du Vietnam, le racisme, pionnier du dialogue interreligieux… il a su se rendre présent à tous les grands débats de son temps. Sa vie et son oeuvre soulignent l’importance du rôle d’un certain type de contemplatifs qui ne se dérobent pas aux appels du monde. Dès lors, comment aurait-il pu passer à côté d’un autre grand  » contemplatif-actif « , saint Augustin ?

En effet, il est évident que l’un et l’autre ont vécu les mêmes paradoxes. Chrétiens assidus à la vie de prière, ils furent désireux de se tenir en retrait mais furent néanmoins happés par les besoins de l’Eglise et du monde. Lecteurs insatiables d’une Parole de Dieu devenue nourriture personnelle, ils durent par nécessité devenir des auteurs prolixes (pas moins de 62 ouvrages pour Merton !). Hommes enfin soucieux de l’unité de la vie intérieure mais toujours tentés par la réponse à des appels extérieurs… On pourrait continuer pendant longtemps la liste surprenante de ces parallèles.

Dans l’un et l’autre cas, Merton et Augustin ont su allier une expression personnelle et la formulation des données fondamentales de la foi, la richesse d’une expérience vécue et sa reprise  » théologique « , le sens du concret, de l’urgence et l’importance des visées de fond.

Pour ce qui nous concerne ici, nous nous limiterons à la mise en évidence de quelques aspects du rôle d’Augustin dans l’itinéraire de Merton . En effet, on peut dire que le grand saint occupe une place déterminante dans la conversion du trappiste, au point que le  » modèle augustinien  » semble inspirer le propre récit de Merton. Nous allons le voir à travers trois exemples précis.

La rencontre avec Bramachari

Bramachari l’invite à lire l’Imitation de Jésus-Christ et les Confessions de saint Augustin !

C’est en 1938, alors qu’il a eu jusque là une vie passablement agitée, que Merton rencontre le moine hindou Bramachari à New York. Il a alors 23 ans. Ame inquiète, la recherche religieuse est restée au centre de ses préoccupations. Mais selon lui, à l’époque, les chrétiens ne propagent que l’idée d’un Dieu «  bruyant, dramatique, irascible, vague, jaloux et caché, objectivation de leurs propres désirs, de leurs efforts et de leurs idéaux « . Lorsqu’il achète le livre d’Etienne Gilson L’Esprit de la philosophie médiévale et qu’il découvre que son auteur est catholique, il est dégoûté. De sensibilité protestante, il se méfie en effet des catholiques. Ils lui font peur. Il interprète par ailleurs l’Ecriture à la lettre, un peu comme Augustin dans sa jeunesse. Il n’a pas encore découvert le mot de saint Paul  » la lettre tue, l’esprit vivifie « .

Il éprouve quelque compréhension pour l’athéisme qui selon lui est une position exigeante et courageuse. Il reconnaîtra néanmoins que quelques chrétiens ont une conception intelligente de Dieu, qu’ils croient sincèrement en Lui. Mais il ne peut guère s’aventurer au-delà de cette reconnaissance. Lorsqu’il fréquente l’église épiscopalienne où son père avait été organiste, c’est en cachette.

C’est dans ce contexte, par l’intermédaire d’amis, que Merton rencontre Bramachari, moine hindou vivant aux Etats-Unis depuis cinq ans. Devenu docteur de l’université de Chicago, des clubs et des écoles l’invitaient à faire des conférences. Il vivait ainsi pauvrement, comptant sur la générosité de ses hôtes. Bramachari sentit très vite que le jeune Merton tâtonnait pour trouver sa voie. Alors que Merton s’attendait à ce qu’il l’initie à la mystique hindoue, il l’invite à lire l’Imitation de Jésus-Christ et les Confessions de saint Augustin !

Merton, décontenancé par cette réponse, d’autant plus surprenante que Bramachari donnait peu de conseils, comprend alors  » l’ironie  » de sa demande : il s’était tourné vers l’Orient comme s’il n’y a avait rien dans la tradition mystique chrétienne.

Cette réponse apparemment insignifiante joue un rôle décisif pour Merton. Elle oriente sa destinée, comme la rencontre d’Ambroise pour Augustin à Milan. Venu en curieux écouter l’évêque, Augustin lui doit ses premiers pas dans la foi catholique, une sympathie plus grande pour l’Eglise et une préparation à la lecture des écrits néo-platoniciens.

Les fruits de la retraite à la Trappe de Gethsémani

Mais ce n’est qu’en rentrant qu’il refait le geste de saint Augustin, ouvrant la Bible au hasard pour y chercher une réponse à ses questions. Il y tombe sur Luc 1, 20 …  » Voici que tu seras silencieux. « 

A l’automne 1940, alors qu’il est à New York, Merton n’a plus qu’un seul désir : entrer au noviciat des franciscains. Entre temps, il était en effet devenu catholique. Dan Walsh, un thomiste, collaborateur de Gilson et Maritain, dont il suit les cours à l’université, le traite d' » augustinien « . Pourtant Merton n’a pas encore lu saint Augustin ! A cette époque il prépare ses examens d’agrégation et c’est dans un cottage sur les collines d’Olean, pendant l’été 1938,  » sous un pêcher, dans l’herbe haute  » qu’il découvre les Confessions .

Puis, poussé par une sorte d’instinct, il rentre un jour dans l’église saint François-Xavier dans la 16e Rue à New York, et là, en contemplant l’hostie que présente le prêtre, il prend la décision de devenir prêtre. Il commence désormais ses journées par la messe à l’église Notre-Dame de la Guadeloupe. A cette époque, il lit aussi les Exercices spirituels de saint Ignace, donne des cours à l’Ecole de commerce de Columbia, travaille à des projets de romans.

Lors de sa retraite à la Trappe de Gethsémani dans le Kentucky, il demande la grâce de devenir trappiste. Mais ce n’est qu’en rentrant qu’il refait le geste de saint Augustin, ouvrant la Bible au hasard pour y chercher une réponse à ses questions. Il y tombe sur Luc 1, 20. L’ange s’adresse à Zacharie, le père de Jean-Baptiste et lui dit :  » Voici que tu seras silencieux.  »

Comme pour Merton, la Trappe est associée au silence, il a le sentiment que seul son entrée chez les Trappistes pourra lui apporter la paix. C’est effectivement là que le conduit Dieu. Hésitant sur la voie à suivre, il a donc refait le geste de la célèbre scène du jardin de Milan (Confessions VIII,7,16 à 12,30). Celui-ci lui permet de sortir définitivement des impasses et angoisses de sa jeunesse.

La recherche de l’identité personnelle

Augustin et Merton partagent une conception commune de l’homme, marquée par un conflit entre un moi extérieur, faux, soumis à toutes les tentations et un moi intérieur, qui seul est vrai

A la Trappe, avant d’être autorisé à écrire à nouveau, Merton ne lira plus que trois ou quatre livres en six ans, dont les Commentaires sur les psaumes d’Augustin. Bien des personnes ont constaté la profonde similitude entre le récit de Merton de sa conversion et le  » modèle augustinien  » : importance de l’Ecriture, des lieux, du récit de crises graduées d’événements qui se répètent plusieurs fois, le rejet du monde suite à la conversion, la volonté d’offrir son expérience personnelle comme un modèle pour les lecteurs…

Mais il y a sans doute plus. Augustin et Merton partagent une conception commune de l’homme, marquée par un conflit entre un moi extérieur, faux, soumis à toutes les tentations et un moi intérieur, qui seul est vrai. Si le moi se tourne vers l’extérieur, il subit une déperdition qui le fait moins être. Il déchoit, tend vers le néant, la souffrance, la mort spirituelle. C’est  » l’aversio  » qui s’oppose à la  » conversio « , réorientation par le Christ vers la fin pour laquelle l’être est créé : Dieu. Aussi Merton insiste-t-il dans ses nombreux écrits sur la distance qui sépare l’homme de Dieu et des moyens pour retrouver cette proximité. Semences de contemplation en fournit une illustration :

 » Afin de devenir moi-même, je dois cesser d’être ce que j’ai toujours cru que je voulais être. Afin de me trouver moi-même, je dois sortir de moi-même et afin de vivre, je dois mourir.  »

Merton ne minimise pas l’idée de destinée personnelle et de vocation mais il souligne avant tout l’importance du recueillement pour pénétrer au plus profond de soi-même et de là aller vers Dieu. C’est la seule méthode si l’on est incapable de vraiment sortir de soi-même et de se donner à autrui dans un amour dépourvu d’égoosme. Dans le recueillement, l’âme humaine ne s’occupe plus d’oeuvres extérieures. Elle agit de manière différente en se concentrant sur la contemplation intérieure. On retrouve ici de façon explicite la distinction opérée par Augustin entre l’intelligence pratique et l’intelligence spirituelle (De Trinitate XII).

Une dernière note de La Nuit privée d’étoiles permet de conclure sur l’importance du recueillement dans la société moderne :

 » Le recueillement est davantage que le simple fait de rentrer en soi. Il met l’homme en contact avec Dieu dont l’invisible présence est une lumière pour celui qui voit toutes choses en elle et trouve aussi la paix en Lui et autour de Lui.  »

Certes, Merton n’a pas suivi Augustin en tout. Il insiste beaucoup plus sur la véritable place du contemplatif au coeur du monde. Il cherche finalement moins l’union à Dieu que des liens féconds entre amour et liberté. En d’autre termes, il se demande comment l’autonomie de l’homme moderne est compatible avec l’amour de Dieu. Mais le conseil de Bramachari, Merton ne l’a jamais oublié.

Jean- François PETIT
Augustin de l’Assomption

Augustin aujourd'hui
L’oecuménisme aujourd’hui. Le groupe des Dombes, par Michel Leplay – La justification, par Daniel Olivier – Colloque international sur le philosophe algérien Augustin, par Lucien Borg. – Augustin dans ma vie, par Marie-Christine Perron.

L’oecuménisme aujourd’hui. Le groupe des Dombes, par Michel Leplay

Mais qu’est-ce qu’un groupe ? Par rapport à une assemblée, à une communauté, à une équipe ? Un groupe, selon le sens italien primitif, est la  » réunion de plusieurs figures formant un ensemble, dans une oeuvre d’art » … Définition originale sinon excessive, à laquelle on préférera le français plus réaliste :  » Ensemble de personnes réunies dans le même lieu, ayant un point commun … . Et voilà qui convient au  » Groupe des Dombes …, tant pour l’aspect conjoncturel et localement provisoire de la rencontre que pour son objectif, de  » point commun …, point de départ de la vocation oecuménique, point de suture de nos blessures confessionnelles, point omega de la prière exaucée.

Histoire et géographie

A l’origine, une rencontre franco-suisse, simple comme une frontière plus réellement franchie que tracée, entre l’abbé lyonnais Remilleux, encouragé par son évêque, et le pasteur bernois Baümlin, tous deux fraternels pionniers d’une reprise du dialogue entre catholiques et protestants

A l’origine, une rencontre franco-suisse, simple comme une frontière plus réellement franchie que tracée, entre l’abbé lyonnais Remilleux, encouragé par son évêque, et le pasteur bernois Baümlin, tous deux fraternels pionniers d’une reprise du dialogue entre catholiques et protestants : non pas de manière officielle et institutionnelle, mais avec la liberté responsable de mettre en oeuvre un travail oecuménique original. Cette première cellule voyait son extension interrompue par la guerre, en 1939. Elle trouverait, la paix revenue, un accueil favorable et durable à la Trappe des Dombes, abbaye construite un siècle plus tôt, entre Rhône et Saône, une terre amphibie aux eaux stagnantes et inhospitalières, bientôt canalisées au profit d’un assèchement fertile et au prix de la peine des premiers moines. L’architecture religieuse de ce grand ensemble de briques le garde, par sa banalité solide, de toute prétention esthétique, et le paysage plat donne parfois au coucher du soleil des gloires eschatologiques. C’est dans cette maison de prière et de travail que depuis 1948 le Groupe se réunit chaque année début septembre, constituant ce que le père Jourjon appelle  » notre petite paroisse de septembre  » Tout est calme, un peu pauvre, sous les mots de l’inaccessible exigence augustinienne puis cistercienne :  » La mesure d’aimer Dieu, c’est d’aimer sans mesure  »

Progressivement, le Groupe des Dombes a trouvé et reçu sa composition, son fonctionnement, quarante théologiens, prêtres et pasteurs, luthériens et réformés, français ou suisses, depuis peu quelques femmes, voire laoques, comme un premier pas heureux vers la parité patristique moderne. L’important est que chacune, chacun d’entre nous, coopté par ses pairs, soit engagé de bon coeur, solidaire de sa tradition ecclésiale, même s’il n’est pas explicitement délégué par une Eglise. La volonté de travailler sans presse et sans paresse, sans ambition de convaincre ni démission par impatience.

La direction et l’animation des travaux, et l’écoute comme des conversations à quarante, un miracle permanent, sont confiées au soin de deux vice-présidents (le père Bruno Chenu et le pasteur Jean Tartier, actuellement), et à la vigilance de deux animateurs-secrétaires. Ce régime de démocratie légère fonctionne tout aussi bien depuis trois ans, dans le monastère des sÏurs bénédictines de Pradines (Allier) qui nous font bénéficier de leur hospitalité après le changement de statut de la Trappe des Dombes.

Spiritualité et théologie

La vie spirituelle est vraiment la source du travail théologique. On entendra par spiritualité, et un certain état d’esprit, de confiance et de franchise, de patience et de liberté, mais aussi de retenue et de délicatesse, et un humour sans faille ni excès…

La vie spirituelle est vraiment la source du travail théologique. On entendra par spiritualité, et un certain état d’esprit, de confiance et de franchise, de patience et de liberté, mais aussi de retenue et de délicatesse, et un humour sans faille ni excès, et une certaine pratique liturgique régulière, mise en oeuvre avec discipline, ferveur, accord permanent tant pour la participation aux offices que célèbre la communauté que pour les eucharisties et cènes propres au Groupe. L’hospitalité réciproque est alors un don exceptionnel qui scelle et renouvelle une écoute commune de la Parole que l’Esprit dit aux Eglises. Le mot central est l’ultime  » Maranatha « .

Après une trentaine d’années de travaux d’approches et d’inventaire du contentieux multi-séculaire en Occident, au bénéfice d’accords provisoires et partiels, mais tenus au secret des archives, la méthode se modifie en 1971. Aux  » thèses  » préparatoires qui jusqu’en 1968 avaient porté déjà sur Les ministères et les sacrements, Le Saint-Esprit et l’Eglise, notamment, vont faire suite des documents plus élaborés, publics, publiés. En tête, non sans un point d’interrogation, un accord signé avec allégresse et confiance dans la jeunesse d’un fameux printemps : Vers une même foi eucharistique ? (Accord entre catholiques et protestants, Les Presses de Taizé, 1972). A l’époque, en effet, cette communauté nous accueillait en alternance avec la Trappe des Dombes, et nous y fûmes interpellés en septembre 1968 par de jeunes chrétiens évangéliquement impatients de notre réconciliation… Comme le seront d’autres documents, celui-ci comporte un volet doctrinal, un autre plus pastoral, un commentaire enfin, plus un rappel des thèses précédentes.

Depuis, une sorte de logique interne de la problématique oecuménique en théologie nous conduisait à reprendre, dans leur articulation au centre, les grands sujets ecclésiaux en panne de clarification, voire de consentement : Pour une réconciliation des ministères (1972), Le ministère épiscopal (1976), Le Saint-Esprit, l’Eglise et les Sacrements (1979), Le ministère de communion dans l’Eglise universelle (1985), tous ces textes d’accord ayant été réunis en un seul volume, à l’occasion du cinquantenaire du Groupe : Pour la communion des Eglises (Le Centurion, 1988, 236 pages, 75 F). Suivraient, comme mise à l’épreuve, un appel : Pour la conversion des Eglises (1991) et enfin, comme mise en oeuvre de cette promesse, Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints (un seul volume, Bayard-Centurion, 1999, 195 pages, 75 F). Cette étude approfondie et paisible avait, comme les précédentes, choisi de remonter l’histoire de la foi et des Eglises, des temps modernes à ceux des pères, puis à l’Ecriture, comme validation ou correctif de nos traditions.

Espérance et prospective

Avec ces promesses dans leurs sacoches, cuir romain ou toile réformée, les pionniers de l’oecuménisme peuvent et doivent continuer le chemin

Notre espérance s’inscrit en effet dans une prospective : celle-ci, tenant compte de l’inventaire comme des réparations proposées, n’est ni un calcul optimiste, ni un dessein prémédité, mais une avancée, année après année, dans la foi -s’il ne semblait pas trop prétentieux de se réclamer du patriarche qui  » partit sans savoir où il allait « . Mais à ce protestantisme biblique de l’aventure ecclésiale vient s’ajouter la conviction catholique de la fidélité christique :  » Un autre te mènera oùtu ne voudras pas « . Avec ces promesses dans leurs sacoches, cuir romain ou toile réformée, les pionniers de l’oecuménisme peuvent et doivent continuer le chemin.

Nous sommes encouragés dans la poursuite de ce voyage, malgré les ralentissement ou déviations de la circulation, par trois facteurs objectifs : d’abord l’intérêt des chrétiens pour les travaux du Groupe des Dombes et les appels que nous recevons pour les faire connaitre. Ensuite, leur traduction dans quelques langues étrangères, pour certain du moins, en anglais et en allemand, et jusqu’à deux traductions (concurrentes ?) en italien pour la petite Marie. Enfin, avec gratitude, nous apprenons que tant les instances catholiques romaines que le Conseil oecuménique prennent en compte nos travaux, d’autant qu’ils ne sollicitent pas des accords officiels, et ne souhaitent que contribuer à l’oeuvre de l’Esprit pour rassembler les enfants de Dieu.

Depuis la fin de nos travaux de réflexion et de rédaction concernant  » MARIE dans le dessein de Dieu et la communion des saints « , en 1997, nous poursuivons une étude difficile sur  » L’autorité doctrinale dans les Eglises, la hiérarchie des vérités et l’actualité d’une régulation de la foi  » Les travaux en cours aboutiront nous ne savons ni quand, ni comment, mais cette précarité confiante appartient à ce qu’on pourrait, sans forfanterie mais par expérience, appeler  » l’esprit des Dombes « .

On ne cachera pas les limites, voire les faiblesses d’une entreprise vraiment exaltante : la tradition du christianisme oriental est absente, même si des théologiens orthodoxes sont consultés, comme pour la Commission anglicane ; les questions d’éthique sociale et familiale, si prégnantes aujourd’hui, ne sont pas abordées, du moins explicitement ; enfin, le Groupe est exclusivement francophone, ce qui est une responsabilité mais aussi un manque dans l’Europe des Eglises et la mondialisation. Mais à l’heure où le dialogue inter-religieux, avec sa noblesse et ses engouements, prend le devant de la scène, il reste nécessaire que  » notre bonne vieille religion  » chrétienne retrouve sa jeunesse, son harmonie contagieuse et, finalement, son impertinence évangélique.

Michel LEPLAY
Pasteur, Paris

La justification, par Daniel Olivier

Le 31 octobre 1999, à Augsbourg, en Allemagne, les représentants de l’Eglise catholique et des Eglises luthériennes ont signé un accord sur la justification . On a parlé d' »événement » : pour la première fois, des Eglises en rupture de communion depuis des siècles pour de graves divergences doctrinales retrouvaient la capacité de dire la foi chrétienne d’une seule voix.  » Evénement  » aussi d’un approfondissement du sens chrétien de la grâce. Mille ans après Augustin, la question de la grâce avait été soulevée à neuf dans l’Eglise en termes de  » justification « , par le moine augustin Martin Luther (1483-1546). Aussitôt tout s’était bloqué et pour longtemps.

Les yeux se sont ouverts sur ce qui n’avait pas été bien vu lors de la Réforme, à savoir qu’entre catholiques et luthériens il y a une part considérable de convictions communes

Luther prêchait la souverainetéde la grâce par rapport à la misère de l’homme pécheur, hors d’état, de lui-même, de s’approcher de Dieu. Le péché ôte toute liberté de plaire à Dieu. Cette thèse de la liberté captive ( » serf-arbitre « ), d’autres comme celle de la justification par la foi seule ,  » sans les oeuvres « , entraînèrent la condamnation par l’Eglise et la rupture de la communion. On n’a su ensuite que confronter stérilement les positions antagonistes, les luthériens cramponnés à l’héritage de Luther, les catholiques défendant la doctrine du concile de Trente (1545-1563).

Le dialogue oecuménique catholique-luthérien, commencé en 1967, s’est attaché à la question de la justification. Les yeux se sont ouverts sur ce qui n’avait pas été bien vu lors de la Réforme, à savoir qu’entre catholiques et luthériens il y a une part considérable de convictions communes. De graves différences empêchent encore de rétablir la communion, mais on est devenu capable de s’expliquer. Et sur la question de la justification, les différences ne sont pas  » séparatrices d’Eglises « . D’où la Déclaration d’Augsbourg :  » La compréhension commune de la doctrine de la justification proposée dans cette déclaration montre qu’il existe entre les luthériens et les catholiques un consensus dans les vérités fondamentales de la doctrine de la justification.  »

 » Notre foi commune, dit le texte, proclame que la justification est l’Ïuvre du Dieu trinitaire. Le Père a envoyé son Fils dans le monde en vue du salut du pécheur. L’incarnation, la mort et la résurrection du Christ sont le fondement et le préalable de la justification… Nous confessions ensemble : c’est seulement par la grâce par le moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cÏurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des oeuvres bonnes…  »

L’exposé des convictions communes est complété par des mises au point sur des sujets sensibles.

Les luthériens tiennent que l’être humain pécheur est incapable de se tourner de lui-même vers Dieu et refusent toute coopération humaine à la grâce. Les catholiques précisent que pour eux la coopération est elle-même  » un effet de la grâce « . Les luthériens voient dans la grâce la bienveillance divine. Le catholicisme leur reproche de ne pas dire la transformation du pécheur par la grâce : la grâce pardonnante de Dieu est toujours liée au don d’un vie nouvelle.

Dans la foi, la personne humaine place toute sa confiance en son créateur et sauveur. Dieu lui-même provoque cette foi en créant pareille confiance par sa parole créatrice

Dans la foi, la personne humaine place toute sa confiance en son créateur et sauveur. Dieu lui-même provoque cette foi en créant pareille confiance par sa parole créatrice. Le catholicisme tient à la conception de la grâce comme une  » qualité  » dans l’âme humaine et à la notion de mérite, au nom de la responsabilité de l’homme. Le justifié n’est pas dispensé de combattre la convoitise égooste du vieil homme, qui provoque l’aversion envers Dieu (Ga 5, 16 ; Rm 7, 7.10). Pour les luthériens, cette  » concupiscence  » qui subsiste en l’homme après le baptême est péché au sens strict : le nouveau baptisé est «  à la fois juste et pécheur  » : juste, car Dieu fait de lui, en Christ, une personne juste ; pécheur, mais en lui le péché est  » dominé  » par Christ. Pour les catholiques, la concupiscence est une tendance qui vient du péché et pousse au péché, mais dans l’homme pardonné et baptisé elle ne peut être péché car la grâce du baptême extirpe tout ce qui est  » condamnable  » (Rm 8, 1). C’est seulement quand il transgresse la loi divine que le chrétien est dit pécheur.

 » Nous confessons ensemble, lit-on encore, que la personne humaine est justifiée par la foi en l’Evangile ‘indépendamment des oeuvres de la loi'(Rm 3, 28) « . Les approches catholique et luthérienne de la question des oeuvres ne sont plus considérées comme exclusives l’une de l’autre : la doctrine catholique ne conteste pas que les bonnes oeuvres sont un don et les luthériens partagent l’idée d’une croissance dans la grâce. Les catholiques ne rejettent plus l’affirmation luthérienne condamnée à Trente que le justifié a la  » certitude de son salut « . On estime qu’en raison du consensus la différence sur ce point ne justifie plus l’exclusion réciproque. Pour les Réformateurs, de fait,  » dans la confiance en la promesse de Dieu le croyant a la certitude de son salut, sans que cette certitude devienne, lorsqu’il ne regarde que vers lui-même, une garantie« .

On en arrive ainsi à la persuasion de l’existence d’un consensus dans les vérités fondamentales concernant la doctrine de la justification. Ce consensus est  » différencié « , il admet les différences. La justification ne relève pas de la même approche chez les catholiques et chez les luthériens en raison des traditions et des points de vue confessionnels respectifs. Les condamnations réciproques apparaissent dans une lumière nouvelle, chaque tradition déclarant ne plus condamner au nom de la foi les positions de l’autre.

Le rapprochement entre l’Eglise catholique et les Eglises luthériennes est une indication pour l’oecuménisme. Un grand pas a été fait, mais pas au point d’adopter une confession de foi commune. La Déclaration ne porte pas sur tout ce qui est enseigné dans les Eglises concernant la justification (sans compter les autres problèmes !). Mais c’est beaucoup que l’obstacle des excommunications réciproques ait cessé de barrer la route. La levée des anathèmes instaure un autre type de relations. On voit qu’on peut laisser à l’autre sa perception, on fait trêve des objections sur la base des explications. On comprend mieux que le dialogue oecuménique n’est pas d’amener à tout prix une autre tradition chrétienne à des vues plus  » justes « . La diversité est possible dès lors que les exposés particuliers sont, dans leurs différences, ouverts les uns aux autres et ne remettent plus en cause le consensus dans les vérités fondamentales.

Le long conflit doctrinal catholique-protestant débouche ainsi sur une meilleure saisie du coeur du message biblique de la grâce qui nous vient en Jésus-Christ : le bonheur de conna »tre que Dieu est toute grâce et la merveille de la transformation que la grâce opère en l’homme pécheur. Le dialogue a fait comprendre que les uns (les luthériens), comme l’écrit Otto Pesch,  » ne font que résister à la tendance à minimiser le péché, tandis que les autres s’insurgent contre toute limitation de l’action de la grâce dans l’homme  » : aspirations qui ont pu s’avérer inconciliables mais qui sont d’autant moins opposées que de chaque côté on a sa façon de tenir compte des préoccupations de l’autre. Il est aussi vital, pour la santé du christianisme, de plaider la miséricorde infinie de Dieu face à la misère humaine, que de montrer la réussite de l’homme nouveau né de la grâce. Catholiques et luthériens peuvent désormais apprendre les uns des autres à mieux comprendre la grâce et l’on ne peut que louer les responsables de la Déclaration d’avoir passé outre aux objections et aux critiques qui n’ont évidemment pas manqué.

Colloque international sur le philosophe algérien Augustin, par Lucien Borg.

(Alger-Annaba, 1 au 7 avril 2001.
Raconté autrement

Tel est le titre officiel qu’en arrivant à Alger, les participants ont trouvé inscrit sur le programme. Ce fut une surprise, y compris pour certains membres du comité de préparation. Nous avions toujours parlé d’un colloque sur saint Augustin. L’Algérie allait-elle se rétracter, battre en arrière et éventuellement renoncer à reconnaître saint Augustin comme un de ses enfants ? C’était une question que j’aurais pu me poser, mais à aucun moment je n’y avais pensé, car je comprenais la raison qui a amené le bureau restreint du comité à choisir un tel titre. Michel Kubler a eu raison d’écrire que  » le colloque consacré par l’Algérie à saint Augustin… constitue une véritable réhabilitation  » (La Croix, mardi 3 avril 2001, p. 15).

Une telle initiative ne fut jamais acceptée par une partie des islamistes, la considérant comme une tentative voilée de christianisation du peuple algérien et donc une menace pour l’Islam. Par exemple, le 19 avril, on pouvait lire sur la page une d’un journal algérien :  » 6 Algériens se convertissent au christianisme tous les jours « . Si cela est vrai, alors il y aura en Algérie à peu près 2000 chrétiens par an ; sur trente ans, cela fait 60.000. Quelle menace pourrait présenter 60.000 chrétiens pour une population musulmane algérienne de plus de 25 millions. Je ne suis pas non plus aussi euphorique que mon ami journaliste qui, devant une telle campagne de presse, jubilait en me disant :  » Ils ont mordu « . Il voulait dire que le colloque ne les a pas laissé indifférents.

En changeant le titre que nous avions toujours retenu pour ce colloque, le bureau restreint a eu raison. Il fallait éviter toute polémique inutile et surtout assurer le succès de cette grande aventure algérienne. Le but fut atteint au-delà de toutes nos attentes. Nous avons réussis -je crois y avoir contribué… que l’on me permette cette pointe d’orgueil légitime! – à faire venir en Algérie une quarantaine des meilleurs spécialistes d’Augustin et de l’archéologie de l’Afrique du Nord. Les invités nous ont rapidement donné leur accord, émus de pouvoir se rendre sur la terre d’Augustin et enthousiastes d’aider l’Algérie à récupérer son patrimoine et à contribuer à ce que le monde extérieur se rapproche davantage du peuple algérien meurtri encore par un terrorisme qui a du mal à s’éteindre.

Sans aucun doute, ce colloque fut un moment important de la vie de l’Algérie, car il fut un moment fort de l’année consacrée par l’ONU au dialogue entre les cultures et les civilisations. Il le fut d’autant plus qu’il a eu lieu en Algérie que d’aucuns regardent encore comme la terre de la sauvagerie, du fondamentalisme religieux et de l’enfermement culturel. Le Président A. Bouteflika fut conscient de l’enjeu et il s’est engagé personnellement. Au club des Pins, le palais où se déroulent les grands événements du pays, le jour de l’inauguration du colloque, devant une salle comble (diplomates, hommes politiques, invités et participants), parlant en français et citant de beaux versets du Coran, dans un arabe chantant, il prononça un discours d’une haute tenue humaine et politique, à l’adresse aussi bien de la population interne qu’au monde extérieur, particulièrement à l’Occident.

Après avoir souligné la fierté de son pays de compter Augustin parmi ses enfants, le Président Bouteflika est allé droit au but de l’année consacrée au dialogue entre les cultures et les civilisations en situant Augustin au coeur de ce dialogue. Il n’a pas eu peur d’affirmer qu’Augustin «  constitue une plate-forme privilégiée pour une réflexion commune permettant de marquer nos similitudes, de préciser nos convergences, et de poser ainsi les jalons d’une éthique des rapports inter-civilisationnels fondée sur le respect, la compréhension réciproque et la solidarité « . Il n’a pas non plus hésité à déclarer que  » l’étude d’Augustin est d’une actualité brûlante, et les débats qu’elle est de nature à susciter peuvent contribuer à nous faire progresser ensemble, dans notre diversité, vers le monde apaisé, le monde de justice et de fraternité auquel, depuis la nuit des temps, aspirent tous les hommes de bonne volonté « .

Discours de circonstance ? L’histoire le dira un jour, mais je ne crois pas à une mise en scène. Son message dans sa clarté linéaire était si fort qu’il est impensable qu’il eût pu cacher une quelconque duperie. Cela est d’autant plus vrai que, pour ceux qui savent lire, ce discours était également la manifestation évidente d’une conscience algérienne qui veut reprendre le chemin de sa vraie histoire, dont elle s’est maintes fois écartée, mais vers laquelle elle est maintes fois revenue, et renouer avec son vrai destin, celui d’être un carrefour de cultures, un pont entre les civilisations et un haut lieu de dialogue entre les hommes.

Quelle image les intervenants nous ont-ils laissée d’Augustin? Voilà un vrai  » Afer  » (nom donné aux habitants de l’Afrique du Nord au temps des Romains), conscient et fier de ne pas être un simple  » clonage  » d’une identité socioculturelle et religieuse romaine, mais un véritable produit du pays, avec ses propres qualités. Un  » Afer  » ni assujetti ni autosuffisant, mais tout simplement un homme de dialogue qui transcende en intégrant dans sa propre personnalité et dans sa doctrine, l’expérience et le savoir de l’autre dans un travail sur soi qui, passant du  » je  » au  » tu « , se trouve enrichi par l’autre et point anéanti, dans un  » nous  » affronté aux mêmes problèmes et questions, aux mêmes angoisses et aux mêmes espoirs.

Lors de la dernière séance de travail, plus précisément à Annaba, les intervenants ont souhaité qu’il y ait dans cette ville un centre de documentation augustinien. J’aurais préféré un centre à l’université de notre ville où il aurait été beaucoup plus viable et plus utile. Quoi qu’il en soit, j’espère que ce centre de documentation pourra voir le jour dans un proche avenir. De cette façon, un autre dialogue s’ouvre qui nous permettra de prolonger ce premier colloque international sur saint Augustin organisé par l’Algérie. J’ose même espérer que l’idée lancée par M. Mandouze de tenir un nouveau colloque en 2004 stimulera l’orgueil et la fierté des Annabis (les habitants d’Annaba) pour accélérer la réalisation de ce centre, pas trop loin de l’endroit où Augustin avait, par sa parole, ses écrits et son action, jeté les bases d’une véritable coexistence entre les hommes.

Lucien Borg, osa
Basilique Saint-Augustin
Hippone, Annaba, Algérie

N.B. Le Monde de la Bible n¡ 137 (septembre-octobre 2001) a consacré deux pages à cet événement, sous le titre : Augustin, de retour en Afrique, et sous la forme d’une interview de Goulven Madec (Bayard).

Augustin dans ma vie, par Marie-Christine Perron

Témoignage d’une novice

Augustin est pour moi un personnage fascinant qui me va droit au coeur, mais qui hélas même au bout de six mois de cours professés par un maître reste toujours un mystère. Je n’ai pas honte d’avouer que son style est trop compliqué pour moi. Mais n’ai-je pas toute la vie devant moi ?
J’aime la passion d’Augustin !

Augustin fait partie de ces quelques figures que je me suis fixées pour modèles, j’entends par là saint Paul, François d’Assise et le Père d’Alzon. Je retrouve une grande similitude de vie entre les trois premiers du moins.

J’aime par-dessus tout sa passion, passion pour tout ce qu’il entreprend. Il a soif de tout, d’apprendre, de vivre, d’aimer, d’être aimé, soif décuplée par ce qui l’habite et dont il va prendre conscience petit à petit. Il est ambitieux, aime la beauté, le beau langage, déteste la vulgarité.

Il est plein d’enthousiasme et consacrera une grande partie de sa vie à se faire le défenseur de l’unité de l’Eglise en combattant différents courants tels que le manichéisme, le donatisme, le paganisme qui accuse les chrétiens d’être la cause de la chute de Rome, et le pélagianisme pour qui l’homme est capable de faire son salut tout seul. Il luttera également pour l’unité intérieure, affirmant qu’il n’y a pas plus belle victoire que le combat sur soi-même.

Mais ce qui me rejoint et me nourrit vraiment chez Augustin, c’est cet  » amour sans mesure « , son exhortation à la charité, résumé de la vie chrétienne et miroir du Christ.

Marcher sur les traces du Christ !

Augustin me donne vie parce qu’il sait exprimer par des mots magnifiques ce qui me brûle le coeur. Il sait ouvrir mes yeux et me montrer la direction à suivre pour trouver cette finalité qui a pour nom Bonheur et pour lequel je suis entrée dans la vie religieuse. Rien de ce qu’offre le monde ne peut nous combler, tout est moyen à utiliser en ne cessant de rendre grâce et surtout en ne cherchant pas à nous approprier les choses, les idées, les résultats. Dieu seul doit être notre mur de soutènement. Dieu qui est Amour et dont tout nous vient.

Dieu nous aime malgré nos laideurs, parce qu’il voit en nous l’être parfait à son image que nous sommes en voie de devenir. C’est de la même façon que nous devons regarder l’homme et y reconnaître le frère qu’il peut devenir par grâce. Tous les hommes sont égaux et ont la même patrie, ce lieu où nous verrons enfin Celui qui est à l’origine de tout. Ce qui peut faire de nous des étrangers, c’est notre non-reconnaissance du Seigneur, notre refus de répondre à son Amour.

Oui nous sommes tous appelés à marcher sur les traces du Christ qui a pris notre humanité en vivant pauvre, obéissant, chaste, il est le seul chemin qui mène au Père. Ce Père qui nous aime et en qui nous devons mettre toute notre confiance. Dieu qui nous a montré jusqu’où pouvait aller son amour pour chacun de nous, ne peut rien nous refuser :  » Il sait mieux que nous ce qui nous est utile et s’il ne répond pas toujours à nos prières, c’est parce qu’il a peur que ce que nous lui demandons soit nuisible pour nous « . Pour Augustin, la seule véritable prière est de lui demander de s’installer en nous  » ses Temples « , et de le laisser agir.

Que l’autre soit ton égal !

C’est à cette seule condition que nous deviendrons des êtres nouveaux capables de grandir et de faire croître nos semblables. Alors, l’Amour jaillissant de nos cÏurs se répandra et transformera tout ce qui nous touche. Répondre à l’amour par l’amour en posant des actes mais des actes profondément pensés. Pour Augustin, plus que l’acte encore, c’est l’intention qui compte et qui peut nous sauver.

Cet amour modifiera notre regard sur l’humanité, nous devons donner dignité et première place à la plus belle création de Dieu. Nous devons nous employer à ce que l’autre soit au moins notre égal, toujours veiller à ne pas l’écraser d’un orgueil qui se camouflerait derrière un semblant de compassion, toujours pousser le frère plus haut. Lui donner confiance en lui rappelant qu’il a un Père, qu’il est aimé et que  » lorsque l’âme est remplie d’amour, elle n’a plus rien à craindre, elle est en voie de retrouver sa beauté première « .

Lui rappeler aussi que si le Christ, qui faisait passer l’amour dans tous ses gestes et même dans ses silences, a revêtu notre condition humaine, c’est uniquement pour guérir une nature détériorée par le péché.

Vivre la dilection, vivre la charité, c’est vivre comme le Christ. Pour l’imiter, il faut le conna »tre et c’est seulement à travers les ƒcritures que nous pouvons nous imprégner de cette puissance salvatrice et la faire n™tre. Vivons la charité par amour et non par devoir ou par peur.  » Aime et fais ce que tu veux !  » L’amour pousse toujours plus loin, il va bien au-delà des lois, et ce qui distingue les actes des hommes, c’est la charité qu’ils y mettent.

Augustin nous invite à vivre dans la charité, à en faire notre oxygène, à mastiquer sans cesse la Parole de Dieu et à la ruminer pour la faire nôtre et la communiquer.

 » Si vous aimez Dieu, entraînez vers l’amour de Dieu tous ceux auxquels vous tenez, tous ceux qui vivent dans votre maison.  »

Marie-Christine PERRON
Oblate de l’Assomption.
Noviciat