Parcours de l’Avent #25

À partir de l’Afrique : décider d’espérer et d’agir. Témoignage du P. Jean-Paul Sagadou, burkinabé, actuellement en communauté à Abidjan (Côte d’Ivoire) où il est Rédacteur en Chef de Prions En Église Afrique. Depuis 2009, il a initié les Voyages interreligieux et interculturels d’Intégration Africaine qui réunissent chaque année pendant deux semaines des jeunes chrétiens, musulmans ou de la religion traditionnelle autour d’une thématique précise.

Par son incarnation, Dieu s’engage résolument dans notre monde et nous invite nous aussi à nous engager au service de l’avènement du Règne de Dieu. A travers ce parcours de l’Avent, nous allons rendre grâce à Dieu pour nos différents engagements. Ce sera aussi le temps de les évaluer pour nous engager davantage ou pour choisir de nouveaux engagements.

Photo : DR – Voyage d’intégration Africaine. Devant le monument dédié à Kwame Nkrumah à Accra au Ghana.

Mes lecteurs valideront-ils ce propos d’Emmanuel Mounier qui dit que « la seule preuve d’un homme, ce sont ses actes » ? Je l’ignore ! Mais la manière dont Mounier a pensé la notion d’engagement nourri ma trajectoire personnelle. 

Le philosophe pensait qu’il fallait tenir ensemble, solidairement et simultanément les notions d’engagement, de conversion et de vocation. Pourquoi ? Parce que ce sont des aspects complémentaires de la personne. L’engagement fait partie de la vocation de chaque personne. Du coup, être, c’est s’engager et refuser l’engagement, c’est refuser la condition humaine, et aussi, par-là, refuser l’incarnation.Je ne sais pas comment le dire ! J’essaie de comprendre mon choix à la suite du Christ (baptême et vie religieuse) comme un appel permanent à la conversion et à l’engagement. Ce faisant, mon effort pour suivre celui que le Père d’Alzon voulait « former dans les êtres », exige de moi une attitude militante et pas seulement des louanges verbales appuyées sur un christianisme d’exaltation. Je pense que mon engagement, au service du Royaume de Dieu, se valide par mes engagements au service des hommes. C’est par là que je me forme, me rapproche des autres et essaie d’enrichir mon univers des valeurs de l’Évangile, avec une conviction émaillée par la sagesse africaine qui me faire dire que « je suis, parce que nous sommes ».

Ces 15 dernières années, je me suis laissé guidé par les évènements (« l’évènement sera notre maître intérieur ») au cœur des missions qui m’ont été confiées. Ils ont été mes lieux engagements : de nouvelles fondations, la formation des jeunes au postulat et au scolasticat, l’enseignement de la philosophie et de la théologie au Togo et au Burkina, l’accompagnement des cadres catholiques, le travail à Bayard Afrique, la création et l’animation du centre culturel interreligieux de Sokodé, l’aumônerie des jeunes; et de façon un peu plus spécialisée, l’accompagnement des jeunes africains à travers les voyages d’intégrations africaine (V.I.A). Un souci m’a habité : ne pas seulement « appliquer », mais « inventer », ne pas seulement « répéter », mais « créer ». Mais parler est souvent notre première ligne de repli. Le saut dans l’action demande du sérieux et de l’ordre. Il reste que l’intuition de ces aventures d’intégration s’est présentée à moi comme une actualisation du charisme assomptionniste en Afrique : accompagner les jeunes dans la création d’un avenir porteur d’espérance. Faire naître des espaces du possible, adossés sur un temps ouvert, face à un continent qui continue d’être traité avec condescendance et ses millions d’habitants représentés par des catégories handicapantes, blessantes, toujours sous le mode de l’échec, du déficit, voire de la déficience et de la tare congénitale. Et les États africains qui peinent à créer des institutions adaptées aux besoins de la jeunesse ; et l’Occident qui n’arrête pas ses injonctions sur ce que l’Afrique doit faire. Je pense que l’explosion du nombre de jeunes en Afrique représente un défi. On estime que, dans moins de trois générations, 41% de la jeunesse mondiale sera africaine. Si on ne s’occupe pas d’elle, de manière engagée, elle pourra être une malédiction au lieu d’une bénédiction pour le continent et pour le reste du monde.

Je ne sais pas si mon engagement auprès des jeunes a formé en moi une âme d’apôtre. Je ne sais pas trop ce que c’est qu’une « âme d’apôtre ». Ce que je sais, c’est que les jeunes, dans leur diversité, m’ont fait grandir en humanité. Avec eux, depuis 15 ans, c’est un « compagnonnage » où chacun apprend de l’autre. En tout cas, la foi en un possible changement des conditions de vie en Afrique, pour les jeunes, donne de l’énergie à l’action. L’état présent de l’Afrique, avec ses guerres, son terrorisme et ses misères, n’est pas définitif et n’est pas le seul possible. A travers notre engagement, en Assomption, nous pouvons travailler en faveur de l’intégration africaine, pour que d’autres possibilités que celles d’aujourd’hui se dévoilent pour le continent dont le dernier livre de l’économiste Carlos Lopes proclame qu’il « est l’avenir du monde ». Franchement, je pense que pour l’Afrique, rien n’est joué, tout se joue et se trouve en gestation.  L’engagement en faveur de l’intégration africaine est un puissant levier pour l’émergence d’une autre Afrique.

À l’endroit des jeunes mon message est simple : « Cesser de marcher courbé [et] se tenir debout » (Ernst Bloch). Il faut accepter de se salir les mains, si l’on veut participer à la construction du monde.  Qui dit engagement, dit rupture, protestation, lutte, affrontement…Les défis auxquels l’Afrique est confrontée demandent des jeunes courageux, audacieux, inventifs, créatifs, avec, pourquoi pas, une figure inspirante comme le Père d’Alzon. J’attends en particulier que cette jeunesse-là puisse s’engager au service de la communion et de la solidarité, au service du vivre-ensemble, de l’intégration et de l’unité africaine, au service d’un monde de l’en-commun, pluriversel, un monde de l’ubuntu. Je pense que celui qui s’engage est capable d’inventer du nouveau.  Je pense aussi que l’engagement libère, éclaire et ouvre des chemins nouveaux pour la vie des hommes. L’avènement du règne de Dieu se joue dans les évènements de notre vie.

P. Jean-Paul Sagadou, Assomptionniste 

UNE PAROLE POUR AUJOURD’HUI
En ce temps-là,
Marie rendit grâce au Seigneur
   en disant :
« Mon âme exalte le Seigneur,
           exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !    
   Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
   Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
   Sa miséricorde s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.
   Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes.
   Il renverse les puissants de leurs trônes,
il élève les humbles.
   Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
   Il relève Israël son serviteur,
il se souvient de son amour
   de la promesse faite à nos pères,
en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »
Marie resta avec Élisabeth environ trois mois,
puis elle s’en retourna chez elle.
(Lc 1,46-56)

UNE PRIÈRE POUR AUJOURD’HUI
Tu n’as pas supporté, Seigneur, que l’homme soit abandonné à la mort, mais tu as voulu le racheter en lui envoyant ton Fils unique ; accorde, nous t’en prions, à ceux qui s’inclineront devant l’enfant de Bethléem, de communier à la vie d’un tel Rédempteur.